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Scène 6

Phœdrie, Thaïs, Pythie.

Phœdrie

Que direz-vous enfin de ma foy violée ?
Si l’aise de vous voir, pour un peu reculée
A rendu mon esprit tousjours inquieté,
Si le jour, loing de vous, me parois sans clarté,
Si je veille au plus fort de l’ombre et du silence,
Jugez ce que feroit une plus longue absence ;
Et si mon amour craint le seul éloignement,
Jugez ce que feroit un triste changement.

Thaïs

Il faudra toutesfois y resoudre vostre ame ;
Nous verrions à la fin soupçonner nostre flame :
Mon cœur accorde mal ce different soucy ;
Et si vous m’estes cher, l’honneur me l’est aussi.

Phœdrie

Cette vertu me charme en redoublant ma peine.
Vous meritez, Thaïs, une amour plus certaine ;
Dans une autre saison je sçaurois y pourvoir :
Mon cœur, comme le vostre, a soin de son devoir.
Je ne vous aume pas pour faveur que j’obtienne,
L’aveu de mes parens, ou leur mort, ou la mienne,
Feront voir que ce cœur, prest à se declarer,
S’il ne doit avoir tout, ne veut rien esperer.

Thaïs

Dequoy me peut servir cette ardeur genereuse ?
Pour plaire à vos parens, je suis trop mal-heureuse,
Se fonder sur leur mort est un but incertain,
On se trompe souvent aux ordres du destin.
Le reste me fait peur, et jusques-là mon ame
Voyoit avec plaisir l’effort de vostre flame ;