Page:La Fontaine - Fables, Bernardin-Bechet, 1874.djvu/260

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Un autre philosophe jure
Qu’ils ne nous ont jamais trompés.
Tous les deux ont raison ; et la philosophie
Dit vrai quand elle dit que les sens tromperont
Tant que sur leur rapport les hommes jugeront ;
Mais aussi, si l’on rectifie
L’image de l’objet sur son éloignement,
Sur le milieu qui l’environne,
Sur l’organe et sur l’instrument,
Les sens ne tromperont personne.
La nature ordonna ces choses sagement :
J’en dirai quelque jour les raisons amplement.
J’aperçois le soleil : quelle en est la figure ?
Ici-bas ce grand corps n’a que trois pieds de tour :
Mais si je le voyais là-haut dans son séjour,
Que serait-ce à mes yeux que l’œil de la nature ?
Sa distance me fait juger de sa grandeur ;
Sur l’angle et les côtés ma main la détermine.
L’ignorant le croit plat ; j’épaissis sa rondeur :
Je le rends immobile ; et la terre chemine.
Bref, je démens mes yeux en toute sa machine :
Ce sens ne me nuit point par son illusion.
Mon âme, en toute occasion,
Développe le vrai caché sous l’apparence ;
Je ne suis point d’intelligence
Avecque mes regards peut-être un peu trop prompts,
Ni mon oreille, lente à m’apporter les sons.
Quand l’eau courbe un bâton, ma raison le redresse !
La raison décide en maîtresse.
Mes yeux, moyennant ce secours,
Ne me trompent jamais en me mentant toujours.
Si je crois leur rapport, erreur assez commune :
Une tête de femme est au corps de la lune.