Page:La Fontaine - Fables, Bernardin-Bechet, 1874.djvu/285

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Sont obscurs ; les beaux esprits
N’entendent pas toute chose.
Faisons donc quelques récits
Qu’elle déchiffre sans glose :
Amenons des bergers ; et puis nous rimerons
Ce que disent entre eux les loups et les moutons.
Tircis disait un jour à la jeune Amarante :
Ah ! si vous connaissiez comme moi certain mal
Qui nous plaît et qui nous enchante,
Il n’est bien sous le ciel qui vous parût égal !
Souffrez qu’on vous le communique ;
Croyez-moi, n’ayez point de peur :
Voudrais-je vous tromper, vous, pour qui je me pique
Des plus doux sentiments que puisse avoir un cœur ?
Amarante aussitôt réplique :
Comment l’appelez-vous, ce mal ? quel est son nom ? —
L’amour. — Ce mot est beau ! dites-moi quelques marques
À quoi je le pourrai connaître : que sent-on ? —
Des peines près de qui le plaisir des monarques
Est ennuyeux et fade : on s’oublie, on se plaît
Toute seule en une forêt.
Se mire-t-on près d’un rivage,
Ce n’est pas soi qu’on voit : on ne voit qu’une image
Qui sans cesse revient, et qui suit en tous lieux :
Pour tout le reste on est sans yeux.
Il est un berger du village
Dont l’abord, dont la voix, dont le nom fait rougir :
On soupire à son souvenir ;
On ne sait pas pourquoi, cependant on soupire ;
On a peur de le voir, encor qu’on le désire.
Amarante dit à l’instant :
Oh ! oh ! c’est là ce mal que vous me prêchez tant !
Il ne m’est pas nouveau : je pense le connaître.