Page:La Fontaine - Fables, Bernardin-Bechet, 1874.djvu/356

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Ainsi parla le bœuf. L’homme dit : Faisons taire
Cet ennuyeux déclamateur ;
Il cherche de grands mots, et vient ici se faire,
Au lieu d’arbitre accusateur.
Je le récuse aussi. L’arbre étant pris pour juge,
Ce fut bien pis encore. Il servait de refuge
Contre le chaud, la pluie et la fureur des vents ;
Pour nous seul il ornait les jardins et les champs :
L’ombrage n’était pas le seul bien qu’il sût faire ;
Il courbait sous les fruits. Cependant pour salaire
un rustre l’abattait : c’était là son loyer[1];
Quoique, pendant tout l’an, libéral il nous donne
Ou des fleurs au printemps, ou du fruit en automne,
L’ombre l’été, l’hiver les plaisirs du foyer.
Que ne l’émondait-on, sans prendre la cognée ?
De son tempérament, il eût encore vécu.
L’homme, trouvant mauvais que l’on l’eût convaincu,
Voulut à toute force avoir cause gagnée.
Je suis bien bon, dit-il, d’écouter des gens-là !
Du sac et du serpent aussitôt il donna
Contre les murs, tant qu’il tua la bête.

On en use ainsi chez les grands :
La raison les offense ; ils se mettent en tête
Que tout est né pour eux, quadrupèdes et gens,
Et serpents.
Si quelqu’un desserre les dents,
C’est un sot. J’en conviens : mais que faut-il donc faire ?
Parler de loin, ou bien se taire.

  1. Sa récompense.