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Marché fait, les oiseaux forgent une machine
Pour transporter la pèlerine.
Dans la gueule, en travers, on lui passe un bâton.
Serrez bien, dirent-ils ; gardez de lâcher prise.
Puis chaque canard prend ce bâton par un bout.
La tortue enlevée, on s’étonne partout
De voir aller en cette guise
L’animal lent et sa maison,
Justement au milieu de l’un et de l’autre oison.
Miracle ! criait-on : venez voir dans les nues
Passer la reine des tortues.
La reine ! vraiment oui : je la suis en effet ;
Ne vous moquez point. Elle eût beaucoup mieux fait
De passer son chemin sans dire aucune chose ;
Car, lâchant le bâton en desserrant les dents,
Elle tombe, elle crève aux pieds des regardants.
Son indiscrétion de sa perte fut cause.

Imprudence, babil, et sotte vanité,
Et vaine curiosité,
Ont ensemble étroit parentage :
Ce sont enfants tous d’un lignage[1].


IV

LES POISSONS ET LE CORMORAN

Il n’était point d’étang dans tout le voisinage
Qu’un cormoran n’eût mis à contribution :
Viviers et réservoirs lui payaient pension.
Sa cuisine allait bien : mais, lorsque le long âge
Eut glacé le pauvre animal,
La même cuisine alla mal.
Tout cormoran se sert de pourvoyeur lui-même.

  1. Race.