Page:La Fontaine - Fables, Bernardin-Bechet, 1874.djvu/392

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Se louaient tour à tour, comme c’est la manière,
J’ouïs que l’un des deux disait à son confrère :
Seigneur, trouvez-vous pas bien injuste et bien sot
L’homme, cet animal si parfait ? Il profane
Notre auguste nom, traitant d’âne
Quiconque est ignorant, d’esprit lourd, idiot :
Il abuse encore d’un mot,
Et traite notre rire et nos discours de braire.
Les humains sont plaisants de prétendre exceller
Par-dessus nous ! Non, non ; c’est à vous de parler,
À leurs orateurs de se taire :
Voilà les vrais braillards. Mais laissons là ces gens :
Vous m’entendez, je vous entends ;
Il suffit. Et quand aux merveilles
Dont votre divin chant vient frapper les oreilles,
Philomèle est, au prix, novice dans cet art :
Vous surpassez Lambert[1]. L’autre baudet repart :
Seigneur, j’admire en vous des qualités pareilles.
Ces ânes, non contents de s’être ainsi grattés,
S’en allèrent dans les cités
L’un l’autre se prôner : chacun d’eux croyait faire,
En prisant ses pareils, une fort bonne affaire,
Prétendant que l’honneur en reviendrait sur lui.
J’en connais beaucoup aujourd’hui,
Non parmi les baudets, mais parmi les puissances,
Que le ciel voulut mettre en de plus hauts degrés,
Qui changeraient entre eux les simples excellences,
S’ils osaient, en des majestés.
J’en dis peut-être plus qu’il ne faut, et suppose
Que votre majesté gardera le secret
Elle avait souhaité d’apprendre quelque trait
Qui lui fit voir, entre autre chose,

  1. Michel Lambert, musicien célèbre du temps de Louis XIV.