Page:La Fontaine - Fables, Bernardin-Bechet, 1874.djvu/409

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J’ai griffe et dents, et mets en pièces qui m’attaque.
Je suis roi : deviendrai-je un citadin d’Ithaque ?
Tu me rendras peut-être encor simple soldat :
Je ne veux point changer d’état.
Ulysse du lion court à l’ours : Eh ! mon frère,
Comme te voilà fait ! je t’ai vu si joli !
Ah ! vraiment nous y voici,
Reprit l’ours à sa manière :
Comme me voilà fait ! comme doit être un ours.
Qui t’a dit qu’une forme est plus belle qu’une autre ?
Est-ce à la tienne à juger de la nôtre ?
Je m’en rapporte aux yeux d’une ourse mes amours.
Te déplais-je ? va-t-en ; suis ta route et me laisse.
Je vis libre, content, sans nul soin qui me presse ;
Et te dis tout net et tout plat :
Je ne veux point changer d’état.
Le prince grec au loup va proposer l’affaire ;
Il lui dit, au hasard d’un semblable refus :
Camarade, je suis confus
Qu’une jeune et belle bergère
Conte aux échos les appétits gloutons
Qui t’ont fait manger ses moutons.
Autrefois on t’eût vu sauver sa bergerie :
Tu menais une honnête vie.
Quitte ces bois et redeviens
Au lieu de loup, homme de bien.
En est-il ? dit le loup : pour moi, je n’en vois guère.
Tu t’en viens me traiter de bête carnassière ;
Toi qui parles, qu’es-tu ? N’auriez-vous pas, sans moi,
Mangé ces animaux que plaint tout le village ?
Si j’étais homme, par ta foi,
Aimerais-je moins le carnage ?
Pour un mot quelquefois vous vous étranglez tous :