Page:La Fontaine - Fables, Bernardin-Bechet, 1874.djvu/42

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Pour égaler l’animal en grosseur ;
Disant : Regardez bien, ma sœur ;
Est-ce assez ? dites-moi ; n’y suis-je point encore ? —
Nenni. — M’y voici donc ? — Point du tout. — M’y voilà ? —
Vous n’en approchez point. La chétive pécore
S’enfla si bien qu’elle creva.

Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages :
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,
Tout petit prince a des ambassadeurs,
Tout marquis veut avoir des pages.

IV

LES DEUX MULETS

Deux mulets cheminaient, l’un d’avoine chargé,
L’autre portant l’argent de la gabelle[1].
Celui-ci, glorieux d’une charge si belle,
N’eût voulu pour beaucoup en être soulagé.
Il marchait d’un pas relevé
Et faisait sonner sa sonnette ;
Quand l’ennemi se présentant,
Comme il en voulait à l’argent,
Sur le mulet du fisc une troupe se jette,
Le saisit au frein, et l’arrête.
Le mulet, en se défendant,
Se sent percer de coups ; il gémit, il soupire.
Est-ce donc là, dit-il, ce qu’on m’avait promis ?
Ce mulet qui me suit du danger se retire,
Et moi j’y tombe et je péris !

  1. Nom donné anciennement à un impôt prélevé sur le sel.