Page:La Fontaine - Fables, Bernardin-Bechet, 1874.djvu/423

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Je le veux, dit le loup : il m’est mort un mien frère ;
Allons prendre sa peau, tu t’en revêtiras.
Il vint ; et le loup dit : Voici comme il faut faire,
Si tu veux écarter les mâtins du troupeau.
Le renard ayant, mis la peau,
Répétait les leçons que lui donnait son maître.
D’abord il s’y prit mal, puis un peu mieux, puis bien,
Puis enfin il n’y manqua rien.
A peine il fut instruit autant qu’il pouvait l’être,
Qu’un troupeau s’approcha. Le nouveau loup y court,
Et répand la terreur dans les lieux d’alentour.
Tel, vêtu des armes d’Achille,
Patrocle mit l’alarme au camp et dans la ville :
Mères, brus et vieillards, au temple couraient tous.
L’ost[1] du peuple bêlant crut voir cinquante loups :
Chien, berger et troupeau, tout fuit vers le village,
Et laisse seulement une brebis pour gage.
Le larron s’en saisit. À quelques pas de là
Il entendit chanter un coq du voisinage.
Le disciple aussitôt droit au coq s’en alla,
Jetant bas sa robe de classe,
Oubliant les brebis, les leçons, le régent,
Et courant d’un pas diligent.

Que sert-il qu’on se contrefasse ?
Prétendre ainsi changer est une illusion :
L’on reprend sa première trace[2]
À la première occasion.

De votre esprit, que nul autre n’égale,
Prince, ma muse tient tout entier ce projet :
Vous m’avez donné le sujet,
Le dialogue et la morale.

  1. L’armée.
  2. Habitude.