Page:La Fontaine - Fables, Bernardin-Bechet, 1874.djvu/459

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Aucun n’était content ; la sentence arbitrale
À nul des deux ne convenait :
Jamais le juge ne tenait
À leur gré la balance égale :
De semblables discours rebutaient l’appointeur :
Il court aux hôpitaux, va voir leur directeur.
Tous deux ne recueillant que plainte et que murmure,
Affligés, et contraints de quitter ces emplois,
Vont confier leur peine au silence des bois.
Là, sous d’âpres rochers, près d’une source pure,
Lieu respecté des vents, ignoré du soleil,
Ils trouvent l’autre saint, lui demandent conseil.
Il faut, dit leur ami, le prendre de soi-même.
Qui mieux que vous, sait vos besoins ?
Apprendre à se connaître est le premier des soins
Qu’impose à tout mortel la majesté suprême.
Vous êtes-vous connus dans le monde habité ?
L’on ne le peut qu’aux lieux pleins de tranquillité :
Chercher ailleurs ce bien est une erreur extrême.
Troublez l’eau : vous y voyez-vous ?
Agitez celle-ci. — Comment nous verrions-nous ?
La vase est un épais nuage
Qu’aux effets du cristal nous venons d’opposer.
Mes frères, dit le saint, laissez-la reposer,
Vous verrez alors votre image.
Pour vous mieux contempler, demeurez au désert.
Ainsi parla le solitaire.
Il fut cru ; l’on suivit ce conseil salutaire.

Ce n’est pas qu’un emploi ne doive être souffert.
Puisqu’on plaide et qu’on meurt, et qu’on devient malade,
Il faut des médecins, il faut des avocats :
Ces secours, grâce à Dieu, ne nous manqueront pas :