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Je m’enfonçai dans l’une de ces allées, monsieur de Châteauneuf*, qui était las, me laissa aller. A peine eus-je fait dix ou douze pas, que je me sentis forcé par une puissance secrète de commencer quelques vers à la gloire du grand Armand. Je les ai depuis achevés sur les mémoires que me donnèrent les Nymphes de Richelieu ; leur présence, à la vérité, m’a manqué trop tôt ; il serait à souhaiter que j’eusse mis la dernière main à ces vers au même lieu (140) qui me les a fait* ébaucher. Imaginez-vous que je suis dans une allée où je médite ce qui s’ensuit :
- Mânes du grand Armand, si ceux qui ne sont plus
- Peuvent goûter encor des honneurs superflus,
- Recevez ce tribut de la moindre des Muses.
- Jadis de vos bontés ses sœurs étaient confuses ;
- Aussi n’a-t-on point vu que d’un silence ingrat
- Phébus de vos bienfaits ait étouffé l’éclat.
- Ses enfants ont chanté les pertes de l’Ibère (141),
- Et le destin forcé de nous être prospère,
- Partout où vos conseils, plus craints que le dieu Mars,
- Ont porté la terreur de nos fiers étendars.
- Ils ont représenté les vents et la fortune
- Vainement indignés du tort fait à Neptune,
- Quand vous tîntes* ce dieu si longtemps enchaîné (142).
- Le rempart qui couvrait un peuple mutiné,
- Nos voisins (143) envieux de notre diadème,
- Et les rois de la mer, et la mer elle-même,
- Ne purent arrêter le cours de vos efforts.
- La Seine vous revit triomphant sur ses bords.
- Que ne firent alors les peuples du Permesse (144) !
- On leur ouït chanter vos faits, votre sagesse,
- Vos projets élevés, vos triomphes divers ;
- Le son en dure encore aux bouts de l’Univers.
- Je n’y puis ajouter qu’une simple prière :
- Que la nuit d’aucun temps ne borne la carrière
- De ce renom si beau, si grand, si glorieux !
- Que Flore et les Zéphyrs ne bougent de ces lieux !
- Qu’ainsi que votre nom leur beauté soit durable !
- Que leur maître ait le sort à ses vœux favorable !
- Qu’il vienne quelquefois visiter ce sejour,
- Et soit toujours content du prince et de la Cour !
Je serais encore au fond de* l’allée où je commençai ces vers, si monsieur de Châteauneuf
ne fût venu m’avertir qu’il était tard. Nous repassâmes dans* l’avant-cour
afin de gagner plus tôt l’autre côté des jardins (145). Comme nous étions près du
pont-levis, un vieux domestique nous aborda fort civilement, et me demanda ce qu’il me
semblait de Richelieu. Je lui répondis que c’était une maison accomplie ; mais que,
n’ayant pu tout voir, nous reviendrions le lendemain, et reconnaîtrions ses civilités
(146) et les offres qu’il nous faisait (je ne songeais pas à notre promesse ) (147).