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Le Bouif errant

Le Bouif avait fort grand air. Sa moustache, relevée en brosse, lui chatouillait le nez et le forçait à contracter les muscles de ses joues, afin d’éviter un éternuement désastreux. Cette grimace, involontaire, ajoutait à la majesté de son uniforme prestigieux.

Aidé par Sava, il escalada le trône.

— Vive Ladislas ! hurla Bossouzof.

— Vive le Roi ! clamèrent tous les assistants.

Bicard voulut se retourner, pour remercier et prononcer un de ces mots définitifs qui consacrent une dynastie et la rendent tout de suite populaire.

Mais un de ses éperons s’accrocha malencontreusement dans un pli du tapis.

Le Roi, désarçonné, trébucha, sauta deux marches, perdit son talpack, qui roula au bas du trône et hurla, d’une voix éclatante, un juron historique, bien français, que tous les assistants applaudirent, sans en comprendre le sens exact.

C’était la première parole qui tombait de la bouche du Roi.

— Sa Majesté remercie ses sujets, traduisit immédiatement Sava. Elle jure fidélité à la Charte Carinthienne. Elle déclare qu’elle saura défendre jusqu’à la dernière goutte de son sang les institutions et l’honneur de la Dynastie.

Jamais la concision du mot de Cambronne n’avait exprimé tant de merveilleux sentiments.

Les trépignements, les applaudissements, les cris, les détonations effarèrent tout à fait Bicard. Le Bouif n’était pas encore assez entraîné à son métier de Roi, pour saisir la différence subtile qui distingue la frénésie des accents d’adoration popu-