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XVI

Le Sauvage


La Noël menaçait d’être triste au foyer de Baptiste Pinette. Agathe, épuisée par des travaux trop rudes, était à la veille de prendre le lit, et y tenir compagnie aux deux plus jeunes enfants déjà malades.

À la ferme on avait perdu des animaux de toutes les catégories, veaux, vaches, cochons, etc., et la plupart des autres étaient atteints d’affections à symptômes variés.

Les plus savants du haut, du bas et du centre du rang, tour à tour consultés, avaient attribué ces malheurs divers au vertigo, ou mal de cornes, au mal jaune, aux lutins, aux loups-garous ou à quelque maléfice.

Aussi, en attendant le retour du père de famille, les sages du rang avaient conseillé d’enfermer, sans distinction, toutes les bêtes dans l’étable-écurie (aux fins de les y tenir bien à la chaleur) et d’user libéralement de poivre, de sel et de vinaigre, tant pour les cornes que pour la queue, plus des bouchons en cormier, pour les cornes, et des vesces-de-loup pour les incisions faites à la queue à cause du vertigo.

Du premier coup d’œil Baptiste crut qu’il ne pourrait seul faire face à la situation, et il dit à sa femme :

— J’ai envie d’aller chercher le soigneux.

— Quel soigneux ?

— Le Savage, du Lac ; le marichal.

— Le marichal savage ! Ah ! celui qui soigne du secrette ? Ah ben ! arrange-toi avec. Tu sais ce que les gens en disent…

— Les gens en disent… les gens en disent… Le curé en dit rien encore. Puis… faut toujours sauver nos animaux.

— Arrange-toi avec, mon homme. Ça me fait rien à moi…