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de Mme de La Guette.

comme il avoit été dit, pour faire le partage. Justement, comme l’on s’alloit mettre à table, mon père et mon mari eurent quelques paroles ensemble et s’animèrent tellement l’un contre l’autre (car ils étoient très-violents), que je fus toute surprise de voir voler les plats contre la tapisserie, non pas par enchantement, mais à force de bras. Tous les gens de robe s’enfuirent ; car ces messieurs-là craignent fort la charge et ne savent ordinairement se battre qu’à coups de plume, et sans aucune considération ils me laissèrent seule pour empêcher le désordre. Je n’eus pas peu d’affaires, car je voyois mon père et mon mari à deux doigts de la mort. Je connus là que la nature l’emportoit, quoique bien des gens disent le contraire ; car je me mis au-devant de mon père pour lui servir de bouclier et découvris ma poitrine ; puis je dis à mon mari, qui avoit l’épée nue : « Donne là dedans ; il faut que tu me tues, avant que tu fasses la moindre chose à mon père ; » et tout d’un coup je lui sautai au collet et lui arrachai son épée qu’il n’eut pas de peine à me lâcher, lui étant impossible de me résister en quoi que ce fût, car il m’aimoit trop pour cela. Je jetai l’épée par la fenêtre, et j’emportai mon mari entre mes bras hors de la salle ; puis je fermai la porte. Il monta à cheval comme si de rien n’avoit été, et s’en retourna chez lui. Mon pauvre père, effrayé, qui avoit vu le péril où il avoit été, me vint embrasser étroitement, les larmes au yeux, et me dit : « Mon enfant, je