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de Mme de La Guette.

ne vous entends pas. » — « Eh bien, expliquons-nous donc ; car il est nécessaire pour mon repos. C’est que j’ai à vous dire que si vous voyez davantage une telle dame, je suis résolue de vous perdre tous deux ; prenez vos mesures là-dessus. » — « Êtes-vous folle, me dit-il, d’offenser une personne d’honneur comme elle est ? Je pardonne à votre extravagance, mais gardez-vous bien que personne ne la connaisse. » — « Je ne vous le promets, lui repartis-je, à moins que vous ne me donniez votre parole que vous ne la verrez jamais. » Après un petit dialogue fait sur ce sujet, au lieu de sa parole, il m’en donna sa foi et me dit : « Êtes-vous satisfaite ? » — « Je la suis au dernier point ; brisons là-dessus. » Il me tint sa promesse, car il ne l’a jamais vue depuis, quoique ce fût une très-sage et honnête dame, que j’ai fort considérée dans la suite. Je souhaiterois que toutes les femmes qui ont le mal que j’ai eu fussent aussi mal fondées que je l’étois ; il ne se passeroit rien de mal à propos.

La plupart de mon occupation, quand j’étois seule, étoit de terminer plusieurs différends qui arrivoient entre les habitants du lieu de ma demeure. Les gens de justice m’en vouloient un mal extrême, car je détournois l’eau de dessus leur moulin. Ils disoient : « Nous n’avons qu’à fermer notre plaidoyer[1] ; madame de La Guette met tous les procès à fin. » J’avoue que j’ai toujours été

  1. Cette locution n’étoit pas alors plus françoise qu’elle ne le seroit aujourd’hui ; mais, apparemment, elle avoit cours dans la province.