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Mémoires

que moi, et je puis dire qu’il l’étoit beaucoup plus, étant absolument possédé par deux puissances : Mars et l’Amour. L’Amour le pressoit de revenir promptement auprès de moi, dans la crainte qu’il avoit que l’on ne me mariât à quelque autre ; et Mars, de son côté, lui faisoit connoître le service qu’il devoit à son roi, et qu’un homme sans réputation est un corps sans âme. Je suis bien de ce sentiment-là ; car ces gens qui n’ont point de cœur sont indignes de vivre. Il demeura donc à son devoir jusqu’à la fin de la campagne. L’armée étoit en Lorraine : c’étoit dans le temps de l’affaire de Nancy[1]. Il s’avisa de m’écrire la lettre du monde la plus touchante. Comme j’avois un grand penchant à l’aimer, je n’eus pas peine à y répondre ; et même je lui donnai adresse chez ma veuve pour me faire savoir de ses nouvelles tout autant qu’il pouvoit, ce qui arrivoit fréquemment. Elle étoit très-fidèle à me les remettre en main. Il n’y avoit pas un mot et pas une syllabe que je ne lus et ne relus mille fois. J’en faisois part à ma confidente, et toutes deux nous admirions le style, car il couchoit parfaitement bien par écrit. C’étoit un grand soulagement pour moi que de rece-

  1. 1633. Le duc de Lorraine, Charles IV, refusoit de faire hommage au roi pour le duché de Bar, soit que réellement il ne s’y crût pas tenu, soit qu’on le lui eût demandé au nom de la duchesse Nicole, sa femme, à qui, suivant la cour de France, appartenoient les droits héréditaires à la couronne ducale. Le roi fit occuper Nancy par ses troupes, et le gouvernement de la ville fut donné au comte de Brassac, Jean de Galard de Béarn.