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Mémoires

cette bonne fille, lui dis-je, qui va prendre l’habit. » Elle demeura interdite et ne savoit que me répondre ; mais dans le moment, il entra trois cavaliers la botte levée[1], dont un vint droit à nous pour nous saluer. C’étoit un gentilhomme d’auprès de Melan, nommé Voisenon[2], bon ami de mon père ; les deux autres, un peu éloignés, nous saluèrent du chapeau. Mon père, qui étoit auprès de madame l’abbesse, la quitta pour venir à l’église, ou il trouva ces messieurs ; il y eut grandes caresses de part et d’autre. La messe commença, et aussitôt qu’elle fut achevée, l’aumônier nous conduisit au parloir, où nous trouvâmes le couvert mis ; et incontinent après l’on servit. Chacun prit place. L’on me mit auprès d’un de ces trois cavaliers, qui étoit un jeune gentilhomme assez bien fait et qui prenoit grande peine à me servir de ce qui étoit sur la table. Madame l’abbesse étoit de l’autre côté de la grille, qui régaloit ses hôtes fort agréablement par sa bonne chère et par son bon visage. Elle étoit fort généreuse et faisoit les choses de bonne grâce ; et tout cecy à la considération de mon père, qu’elle

  1. Je n’ai pas trouvé cette expression dans Furetière ; mais il me semble qu’elle n’est pas difficile à expliquer. La botte étoit surmontée d’une pièce qui enveloppoit le genou, et qu’à cause de cela on appeloit genouillère. Quand on étoit a pied, la genouillère, plus mince et moins dure que la tige, fléchissoit : on la relevoit pour monter à cheval. Donc, un homme qui est botte levée est un homme qui descend de cheval ou qui va y monter.
  2. Il n’y a, en effet, un village de ce nom tout près de Melun ; mais je ne saurois dire de quel Voisenon parle ici madame de La Guette.