Page:La Guette - Mémoires, 1856.djvu/86

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
34
Mémoires

faute, et que si elle pouvoit être convaincue qu’elle avoit consenti au mariage, il voiroit ce qu’il y auroit à faire ; si bien que la pauvre femme se retira dans sa chambre sans oser répondre un mot ; et le gentilhomme, pendant tout ce tintamarre, s’en retourna à Grosbois.

Je me trouvois fort contente chez mon mari. Nous nous divertissions agréablement ; nous montions à cheval tous les jours pour aller à la chasse ou pour voir la noblesse du voisinage, qui me recevoit de la manière du monde la plus obligeante. Toutes ces douceurs ne durèrent pas longtemps, parce que mon mari fut obligé de s’en retourner à l’armée. C’étoit la campagne du siége de Spire en Allemagne[1]. Notre séparation fut rude ; car je puis dire qu’il m’aimoit d’une façon tout extraordinaire et que j’en étois idolâtre. J’eus le temps pour cette première fois de verser des larmes à mon aise, et de faire la femme au préjudice de ces nobles inclinations et de cette fermeté d’âme qui m’étoit si naturelle et qui me fait même avoir de l’aversion pour celles de mon sexe qui ont trop de mollesse. En effet, j’ai toujours été d’une humeur plus portée à la guerre qu’aux exercices tranquilles de mettre les poules à couver et de filer la quenouille, quoique l’on dise qu’une femme ne doit savoir que cela.

  1. La ville de Spire fut prise en 1634. Elle resta au roi avec Philisbourg par le traité qui survint ensuite entre Louis XIII, le roi de Suède et les princes d’Allemagne.