Page:La Harpe - Abrégé de l’histoire générale des voyages, tome 22.djvu/190

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habits, il se fit un juste-au-corps et un bonnet de peaux de chèvres, qu’il cousit ensemble avec de petites courroies qu’il en avait ôtées, et avec un clou qui lui servait d’aiguille. Il se fit des chemises de morceaux de toile qu’on lui avait laissés, et l’estame de ses bas lui servit de fil. Il était à sa dernière lorsque les deux vaisseaux lui apportèrent d’autres secours. Son couteau s’étant usé jusqu’au dos, il en forgea d’autres avec des cercles de fer qu’il trouva sur le rivage, et dont il fit divers morceaux qu’il eut l’art d’aplatir et d’aiguiser.

» Il avait tellement perdu l’usage de parler, que, ne prononçant les mots qu’à demi, on eut long-temps assez de peine à l’entendre. Il refusa d’abord l’eau-de-vie qu’on lui présenta, dans la crainte de se brûler l’estomac par une liqueur si chaude ; et quelques semaines se passèrent avant qu’il pût goûter avec plaisir des viandes apprêtées à bord. Il avait joint à sa chair de chèvre, à ses racines et au poisson, une espèce de prunes noires, qui sont excellentes, mais qu’il ne cueillait pas aisément, parce qu’elles croissent au sommet des montagnes et des rochers. Pendant que les Anglais furent à l’ancre, la reconnaissance lui fit braver toutes sortes de dangers pour leur procurer ce rafraîchissement. Ils le nommaient le gouverneur, ou plutôt le monarque absolu de l’île. Le capitaine Dampier, qui connaissait Selkirk, ayant dit à Rogers que c’était le meilleur marin qu’il y eût sur les Cinq-Ports, ce chef lui