Page:La Harpe - Abrégé de l’histoire générale des voyages, tome 22.djvu/227

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environ cinquante ans, et son âge était de soixante-trois. Le goût qu’il avait pour nos sciences et nos arts lui faisait tolérer nos missionnaires, et l’établissement d’une religion étrangère dans l’empire ; mais il n’avait aucune disposition à l’embrasser. Il avait tout l’orgueil et le faste des monarques orientaux. Sa vanité ne pouvait souffrir que, dans les cartes géographiques, on ne mit pas son empire au centre du monde ; et quelques jésuites, pour lui plaire, furent obligés de renverser l’ordre dans une carte chinoise qu’il leur fit faire à Pékin. Il rejeta deux globes d’une rare beauté, qu’un négociant anglais lui avait offerts, par la seule raison que la Chine n’y était pas située comme il le désirait. Sa prévention pour le pays dont il était le maître allait jusqu’à se tromper lui-même pour tromper les autres. S’il voyait quelque nouvel ouvrage de l’Europe, il ordonnait secrètement à ses ouvriers de le contrefaire ; et, le faisant voir ensuite aux missionnaires comme une production du génie chinois, il leur demandait, avec beaucoup de sang-froid, si les Européens faisaient les mêmes ouvrages. Ce que nous savons d’ailleurs du mérite et de la sagesse de ce monarque fait voir que ces petitesses de la vanité et de l’ignorance, excusables peut-être dans un despote peu éclairé, peuvent s’accorder avec la science de régner.

Il voulut un jour s’enivrer pour reconnaître les effets du vin. Un mandarin, qui passait pour une tête forte, reçut ordre de boire avec lui.