Page:La Harpe - Abrégé de l’histoire générale des voyages, tome 23.djvu/248

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peut-être avec quelque fondement, qu’indépendamment de l’obstacle physique que l’organe de cet insulaire apportait à ce qu’il pût se rendre notre langue familière, obstacle qui sera détaillé plus bas, cet homme avait au moins trente ans, que jamais sa mémoire n’avait été exercée par aucune étude, ni son esprit assujetti à aucun travail ; qu’à la vérité un Italien, un Anglais, un Allemand, pouvaient en un an jargonner passablement le français ; mais que ces étrangers avaient une grammaire pareille à la nôtre, des idées morales, physiques, politiques, sociales, les mêmes que les nôtres, et toutes exprimées par des mots dans leur langue comme elles le sont dans la langue française ; qu’ainsi ils n’avaient qu’une traduction à confier à leur mémoire exercée dès l’enfance. Le Taïtîen, au contraire, n’ayant que le petit nombre d’idées relatives d’une part à la société la plus simple et la plus bornée ; de l’autre, à des besoins réduits au plus petit nombre possible, aurait eu à créer, pour ainsi dire, dans un esprit aussi paresseux que son corps, un monde d’idées premières avant de pouvoir parvenir à leur adapter les mots de notre langue qui les expriment. Voilà peut-être ce que j’aurais pu répondre ; mais ce détail demandait quelques minutes, et j’ai presque toujours remarqué qu’accablé de questions comme je l’étais, quand je me disposais à y satisfaire les personnes qui m’en avaient honoré étaient déjà loin de moi. C’est qu’il est fort commun dans les capitales