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qui lui rappelèrent les sens. L’ayant prise alors entre ses bras, il employa pour la consoler des termes si tendres et si religieux, qu’on les aurait admirés dans la bouche d’un chrétien.

» On lui accorda près d’une demi-heure pour ce triste office. Il remonta sur son éléphant, et la marche continua dans le même ordre. Lorsque, étant sorti de la ville, il fut arrivé à l’espèce de rue qui était formée par deux files de soldats étrangers, ses yeux tombèrent sur les Portugais, qu’il reconnut à leurs colletins de buffle, à leurs toques garnies de plumes, et surtout à leurs arquebuses sur l’épaule. Il découvrit au milieu d’eux Cayero, vêtu de satin incarnat, et tenant en main une pique dorée, avec laquelle il faisait ouvrir le passage. Cette vue le toucha si sensiblement, qu’il refusa d’aller plus loin, et que le capitaine de la garde fut obligé de faire quitter leur poste aux Portugais[1].

  1. Ce détail mérite d’être rapporté dans les propres termes de l’auteur. « Comme il reconnut Cayero, incontinent il se laisse cheoir sur le col de l’éléphant ; et s’arrêtant sans vouloir passer outre, il dit les larmes aux yeux à ceux dont il était environné : Mes frères et bons amis, je vous proteste que ce m’est une moindre douleur de faire de moi-même ce sacrifice, que la justice du ciel permet que je fasse aujourd’hui, que de voir des hommes si ingrats et si méchans que ceux-ci. Qu’on me tue donc, ou qu’ils se retirent de là, ou bien je n’irai pas plus avant. Cela dit, il se tourna trois fois pour ne nous point voir, par le ressentiment qu’il avait contre nous. Aussi, le tout considéré, ce ne fut peut-être pas sans raison qu’il nous traita de cette sorte. Durant ce temps-là, le capitaine de la garde voyant le retardement qu’il faisait, et la cause pour laquelle il ne voulait passer outre, sans que néanmoins il pût s’imaginer pourquoi il se