Page:La Harpe - Abrégé de l’histoire générale des voyages, tome 5.djvu/308

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vendre à Bagdad, où la Perse, l’Arabie et le pays du Mogol s’en fournissent, j’ai le malheur de les voir périr faute d’eau, pour avoir pris le chemin du désert, comme le plus sûr. »

» Ce récit m’inspira une égale horreur pour sa personne et pour sa profession. Cependant je feignis d’autres sentimens pour l’engager à nous apprendre le reste de son aventure. Il continua librement ; et nous montrant des fossés qui venaient d’être comblés : « J’ai déjà fait enterrer, nous dit-il, plus de vingt de ces filles et dix eunuques qui sont morts pour avoir bu de l’eau des puits. C’est un poison mortel pour les hommes et les bêtes. À peine même y trouve-t-on de l’eau ; ce ne sont que des sauterelles mortes, dont l’odeur seule est capable de tout infecter. Nous sommes réduits à vivre du lait des chameaux femelles ; et si l’eau continue de nous manquer, il faut m’attendre à laisser dans ces déserts la moitié de mes espérances. »

» Pendant que je détestais au fond du cœur la barbarie de cet infâme marchand, la compassion dont j’étais rempli pour tant de malheureuses filles me tirait les larmes des yeux ; mais je me crus près de mourir de saisissement et de douleur lorsque j’en vis neuf ou dix qui touchaient à leur fin, et que j’aperçus sur les plus beaux visages du monde les dernières convulsions de la mort.

» Je m’approchai d’une d’entre elles qui al-