Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/146

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—i38— « Le royaume de Dieu rappellera alors la fable des dix Vierges. C'était le soir de leurs noces et au sortir du temple où elles avaient prié, elles cheminèrent vers leurs lits nuptiaux par des jardins fleuris. La nuit tombait superbe : dans une salle de fête voisine on célébrait leur mariage en un festin plein de musique, et les étoiles, suaves comme des yeux d'anges, envoyaient au cœur des épousées des vœux de lumière éternelle. Elles avançaient lentement, dans leurs longues robes blanches, et les fleurs des parterres s'illuminaient pour elles d'éclats radieux, car le bon heur vêt de 'magnificence et de lumière tout ce qui s'allume à ses regards. De grandes marguerites s'ouvraient ainsi en cœurs d'or dans la nuit, les roses brillaient comme des baisers de vierge mystique, et les lys au col frêle s'élançaient avec la précieuse fragilité de prières d'infantes. Les épou sées étaient donc les reines de leur rêve, sous leur diadème nuptial ; elles étaient pâles dans les ténèbres, et ne savaient, en écoutant les chants multi colores des rossignols, si c'était leur âme ou les bosquets qui exhalaient des musiques divines. Leur cortège candide arriva sous un porche où elles prirent des lampes. Mais parmi elles se trouvaient cinq sages et cinq folles. Et les folles, en prenant leurs lampes, négligèrent de se pourvoir d'huile. La pâle orfèvrerie des étoiles éclairait seule les détours du jardin et les vierges entrèrent dans leurs chambres et attendirent leurs époux. Il régnait un grand silence, et bientôt les rayons de la lune vinrent réveiller de leur songe les choses de la nuit et mirent comme de blanches couronnes aux meubles taciturnes et vêtirent les murs de ruisselantes draperies. Les Vierges^rêvaient d'or dans ce pâle décor, leur main attendrie sur leur poitrine, quand à minuit il se fit un cri : Voici l'Epoux! Sortez au devant de luil Mais les folles durent aller chercher de l'huile, et l'Époux ne les ayant pas trouvées, quand elles revinrent frapper à l'huis, répondit : En vérité, je ne vous connais point I Alors, pareilles à des brebis blessées ou à des lys frappés par la grêle, elles furent pleurantes parmi les jardins Sur les plantes, à leurs yeux de douleur, un voile noir était descendu. Les marguerites au cœur d'or s'étaient rouillées comme des crapauds, les roses leur semblaient des pau pières d'aveugles, et le grand scintillement des astres ne s'ouvrit plus dans les espaces en avenues illuminées sur leur bonheur. Elles s'enfoncèrent dans les ténèbres, aussi tristes que des veuves, et elles errèrent ainsi en fées