Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/242

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—234— la volonté du ciel. S'il m'était seulement possible de lire ce que contient ce pli ; mais je ne parviens plus à déchiffrer le moindre mot ! Des brouillards obscurcissent mon regard; les lettres papillottent et dansent. Et je n'ose me faire lire cet écrit par un autre! Ah! prononcer un pareil serment! La pré voyance de l'homme est donc nulle à ce degré que telle action qui lui paraît sage entraîne les conséquences les plus funestes! Ainsi j'entrepris si bien et si longtemps Begard Vâradal, qu'il persuada au roi de se séparer d'Inga. Cette séparation nous parut d'abord une chose excellente, et pourtant si je ne l'avais pas conseillée, Inga ne se serait pas trouvée à Bartejg pour y recevoir la lettre du prêtre Trond, celle-ci ne serait point parvenue assez tôt entre mes mains et je n'aurais point dû tenir mon serment. Au moins si le temps me restait encore ! Si on me garantissait de vivre cette nuit, ou seulement une partie de cette nuit ! Je dois, je veux vivre encore. (Il bat de la crosse contre le parquet.) (Un prêtre se présente.) NICOLAS. — Appelez Maître Sigard. (Le prêtre obéit.) NICOLAS (froissant la lettre entre ses doigts). — Ce pli, fermé parce sceau fragile, contient toute l'histoire de la Norwège durant des siècles à venir! Elle dort et rêve, ici, cette histoire, comme l'oisillon dans son œuf! Oh, si j'avais plus d'une âme, à présent, ou plutôt, si je n'en avais aucune ! (Il presse la lettre contre sa poitrine.) Oh, si la fin n'arrivait pas si vite — et le jugement, et la punition — je couverais cet œuf de manière à en faire éclore un vautour qui étendrait l'ombre funeste de ses ailes sur tout ce pays et qui plongerait ses serres aiguës dans le cœur du dernier de ses habitants! (Il retombe sur sa couche.) Mais l'heure suprême est proche. (Il se récrie.) Non ! Non ! C'est un cygne, un beau cygne blanc que je vais faire éclore de cet œuf! (Il jette la lettre à terre et appelle.) Maître Sigard! Maître Sigard! SCÈNE XIV Sigard. — Nicolas. SIGARD. — Comment vous sentez-vous, vénéré seigneur? NICOLAS. — Maître Sigard, vends-moi pour trois jours devie! SIGARD. — Je crois vous avoir dit... NICOLAS. — Oui, oui; mais vous ne parliez pas sérieusement; vous vouliez me punir de mes accès d'humeur, n'est-ce pas? Je me suis com porté à votre égard en tyran maladroit ; et voilà pourquoi vous vous êtes amusé à me faire peur. Fi, que c'était méchant... Non, non, — je ne méri tais pas mieux! Mais soyez bon à présent et faites-moi ce plaisir! Je vous récompenserai royalement... Trois jours de vie. Maître Sigard, seulement trois jours ! SIGARD. — Et s'il me fallait expirer au même moment que vous, il me serait impossible encore de reculer ce moment des trois jours que vous me demandez I NICOLAS. — Alors un jour; un jour seulement ! Ou du moins qu'il fasse