Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/75

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-67- «  PRIÈRES D'APRÈS LES PRIMITIFS LA MORT DE SAINT FRANÇOIS D'après Giotto. jout se taisait; c'était un soir d'automne mélancolique et doux. Une vague lumière flottait encore par le ciel d'un indéfinis sable azur verdâtre, comme un adieu prolongé du soleil disparu. Les cloches de Sainte-Marie-des- Anges avaient épar pillé sur l'alentour les bénédictions allègres de leurs carillons. Et plus un bruit ne venait des champs vers l'église du monastère. Cette paix profonde l'isolait immensément et rendait auguste la marche lente de la nuit qui tombait. Dans la cour du couvent aux murs gris et pauvres, sur un lit de cendres étendu, vêtu seulement de la robe et du capuchon de son Ordre, et allongé déjà dans l'attitude du définitif repos, son profil pâle nimbé de clarté, calme d'un calme qui n'est point d'ici, il attend joyeux la mort qui dans la nuit approche, le Saint au cœur magnifique. Et l'entourent ceux qu'il a rassem blé dans son rêve sublime d'amour et de bonté, figures roses et rondes sans âge, d'où l'acceptation de la Pauvreté chassa le souci et les rides, clairs yeux candides, miroirs purs n'ayant reflété que de simples et de bonnes pensées, une tristesse infinie les étreint et ils se sentent défaillir comme de petits enfants. Ils sont agenouillés des deux côtés de la couche, et buvant leurs larmes, murmurent des prières folles ; l'un d'eux tient pressée sur ses lèvres, pour un baiser qui ne se résigne pas à finir, la main inerte du mourant ; d'autres, debout, immobiles dans les plis uniformes de la bure, attachent leurs regards anxieux à celui du Saint comme pour y retenir désespérément la clarté qui y vacille et s'éteint. Au pied du lit, — comme il a voulu, devant ses yeux jusqu'au dernier instant, le signe de rédemption, — un groupe de frères lui présente la bannière de la communauté qui s'incline un peu vers lui, en salutation. (La Croix qui la surmonte brille, brille miraculeusement des feux dorés du crépuscule.) Et à son chevet, d'autres, d'une voix que malgré son désir, ils ne peuvent faire résonner courageuse et ferme, lisent le Cantique au Soleil et l'Evangile de Jean. Ineffablement heureux, au milieu des oraisons fraternelles, il s'en allait vers la Lumière. Une paix souveraine ennoblissait son front, le couron nait d'un pressentiment d'éternité.