Aller au contenu

Page:La Jeune Belgique, t2, 1883.djvu/106

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.



POCHADE



Un soir de Carnaval et d’écœurement bête,
Je fis dans mon fauteuil un rêve souhaite,
Me figurant l’enfer, où s’en vont les poètes
Vivre après leur trépas leur immortalité.

Drôle était-ce de les contempler dans cet antre :
Les uns repus, rassis, le visage empourpré ;
D’autres montrant du doigt le vide de leur ventre,
Où depuis l’Obiit plus rien n’était entré.

Ils passaient, noirs et lents, mêlés à l’ombre blême,
Où ne brûlait aucun bec de gaz près des murs,
Où seuls de lourds quinquets de foire — vieux système,
Ouvraient leur œil jauni dans des recoins obscurs.

Je vis Musset penaud, fouillant en vain sa poche.
Rien ! pas un sou vaillant ! — Rolla, dit une voix.
Puisque tu n’as plus rien du tout dans ta sacoche,
Ne vas-tu pas mourir une seconde fois ?

Murger, toujours bon cœur, prêta deux francs, sans dire
Qu’il les avait lui-même empruntés hier, fort tard,
Pour rapiécer le vieil acajou de sa lyre,
Le premier à Marcel, le second à Schaunard.

Gautier, prêtre indien, était assis au centre
D’un tas d’or, aussi lourd et large qu’un baril,
Et les regards fixés vers le nu de son ventre,
Comme un chou de Bruxelle exhibait son nombril.