Page:La Landelle - Le Dernier des flibustiers, Haton, 1884.djvu/66

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

-Errant est un vieil israélite qui exploite la crédulité publique, et que Nathan-la-Flibuste n’est pas plus immortel que les deux autres. Mais cette opinion n’était pas soutenable à bord de son navire, où j’ai fait la traite à main armée, fort à contre-cœur, tant que je n’ai pu en déserter. Eh bien ! si les Français ou les Anglais nous eussent pris, j’aurais été pendu le plus injustement du monde. Nathan-la-Flibuste, que je n’ai jamais connu sous son vrai nom, me captura, il y a douze ans, dans le golfe de Fernando-Po, où je passais avec un chargement de nègres à destination de Saint-Domingue. J’ai fait six voyages à son bord, et je m’en suis évadé à la nage une nuit par le travers de la Martinique, où je trouvai asile sur un marchand de morue du Canada prêt à repartir pour Québec. – C’est alors, Messieurs, que reconnu par quelques camarades pour un vétéran de Royal-Marine, je fus nommé sergent dans Picardie. Nous faisions la guerre aux Iroquois ; ils me prirent, et j’allais être scalpé, quand mon tatouage brésilien me tira d’affaire. Ce tatouage, après Dieu, m’a sauvé la vie dans une foule de vilaines occasions. – Quand Picardie revint en France, je me présentai au directeur de la Compagnie des Indes-Orientales, qui voulut bien me faire breveter capitaine aventurier. Mes états de service dans l’Inde sont écrits sur toute ma personne ; j’ai vingt cicatrices à offrir au conseil ; six coups de feu, deux éclats de bois, quatre blessures à l’arme blanche, et spécialement un coup de kriss maratte dans le flanc gauche, dont le diable en personne n’eût pas réchappé ; mais j’ai la peau plus dure que le diable, sans avoir à l’immortalité aucune des prétentions du comte de Saint-Germain, du Juif-Errant, ni de Nathan-la-Flibuste. Au résumé, je crois que le comte de Saint-Germain sera enterré, que le Juif-Errant finira par pourrir en prison, mais que Nathan-la-Flibuste se perpétuera, le pendrait-on et le pendrait-on cent fois… – Moi qui vous parle, Messieurs, si j’avais jamais la