Page:La Madelène - Le comte Gaston de Raousset-Boulbon, sa vie et ses aventures, 1859.djvu/64

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n’avait outragés et dont l’antilope et le chevreuil aimaient l’ombre. À chaque pas, des lièvres partaient sous les pieds mêmes des mules ; des compagnies de perdrix s’élevaient à grand bruit d’ailes, des coqs de bruyère s’envolaient en criant. Le rôti du soir était toujours à portée de carabine.

Par moments, il fallait quitter les plaines et s’engager dans la Sierra. Le contraste était saisissant : de grandes roches nues, étincelantes au soleil ; des terrains arides, d’où surgissaient quelques arbustes rares et rabougris ; des mousses courtes et calcinées ; çà et là, dans les crevasses des rochers, à leur ombre, quelques touffes de lavandes. Aussi avec quelle joie, au sortir des montagnes, on retrouvait ces oasis merveilleuses, coupées d’eaux vives, ombragées de grands chênes, parsemées de rosiers sauvages, couvertes jusqu’à l’horizon d’avoines géantes !

De temps en temps on abattait un veau : l’air était si pur que la viande, pendue par quartiers à l’arçon des selles, se desséchait sans se corrompre. Le calme silence de cette solitude inviolée avait des influences pénétrantes et des tentations irrésistibles. On se sentait vivre avec plénitude, sans désirs, sans regrets : le monde entier disparaissait en quelque sorte ! Que de fois, étendus à l’ombre au bord de l’eau, les trois amis se sont-ils écriés : « À quoi bon aller plus loin ? »

C’était toujours M. de Raousset qui, le premier, se réveillait et rompait le charme énervant. Son activité dévorante résistait même à ces langueurs des savanes, dont les plus hardis voyageurs ont subi l’influence. Toujours en courses, de côté et d’autre, il fit quatre à cinq fois les deux cents lieues qui séparent Los Angeles de San Fran-