Aller au contenu

Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/158

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hasard, & vont eux-mêmes rondement & gaiement leur petit train avec le bâton d’aveugle qui les conduit. Ils mangent, boivent, dorment, végetent avec plaiſir. Trompés à leur profit, loin d’avoir des frayeurs, s’ils vivent en honnêtes gens, ils ſe repaiſſent l’imagination d’agréables idées qui les conſolent de mourir. Le gain qu’on leur promet, quoique chimérique, fait que la perte n’a pour eux preſque rien de réel. Eſt aſſez habile qui eſt aſſez heureux.

Pour approfondir ce ſujet, on me permettra de me livrer à quelques réflexions. Toutes choſes égales, les uns font plus ſujets à la joie, à la vanité, à la colere, à la mélancolie, & aux remords même, que les autres. D’où cela vient-il, ſi ce n’eſt de cette diſpoſition particuliere des organes, qui produit la manie, l’imbécillité, la vivacité, la lenteur, la tranquillité, la pénétration, &c ? Or, c’eſt parmi tous ces effets de la ſtructure du corps humain, que j’oſe ranger le bonheur organique. Il a été donné à ces heureux mortels, qui, pour l’être, n’ont beſoin que de ſentir ; à ces heureux tempérament, ces béats, dont on parle tous les jours, dont telle eſt la conſtitution, que le chagrin, l’infortune, la maladie, les douleurs médiocres, la perte de ce qu’on a de plus cher, tout ce qui afflige les autres enfin, gliſſe ſur leur ame qui ſe laiſſe à peine effleurer. Le même concours fortuit, la même circu-