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Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/172

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qu’elles ſeront au gré de ſes deſirs, elles peuvent leur être tout-à-fait contraires. Delà par conſéquent à quelle fâcheuſe incertitude n’eſt-on pas ſans ceſſe livré ? Pour une idée riante, combien d’idées triſtes, & de frayeurs cruelles ! Au contraire dans notre opinion, ſi on n’a pas les roſes phantaſtiques que donne un beau ſonge, du moins eſt-on exempt des épines réelles qui l’accompagnent. Enfin, tout bien conſidéré, ſe borner au préſent, qui ſeul eſt en notre pouvoir, c’eſt un parti digne du ſage ; nuls inconvéniens, nulles inquiétudes de l’avenir dans ce ſyſtéme. Uniquement occupé à bien remplir le cercle étroit de la vie, on ſe trouve d’autant plus heureux, qu’on vit non-ſeulement pour ſoi, mais pour ſa patrie, pour ſon roi, & en général pour l’humanité, qu’on ſe fait gloire de ſervir. On fait le bonheur de la ſociété, avec le ſien propre. Toutes les vertus conſiſtent à bien mériter d’elle, comme nous allons l’expliquer.

Que d’autres s’élevent ſur les aîles du Stoïciſme (s’il lui en reſte encore) juſqu’au haut de ce roc eſcarpé, où Héſiode a bâti un temple ſublime à la vertu, toujours piqué des ronces dont le chemin eſt hériſſé, ſans les ſentir, & toujours cotoyant un précipice, ſans y tomber ; ils pourront bien donner le nom à quelque ſecte, comme Icare donna le ſien aux mers où il tomba : mais plus ils s’éloigneront de la nature, ſans laquelle la morale