Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome troisième, 1796.djvu/132

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hommes le deviendroient par la même nourriture ; cela est vrai, que la nation anglaise, qui ne mange pas de chair si cuite que nous, mais rouge et sanglante, paroît participer de cette férocité plus ou moins grande qui vient en partie de tels aliments & d’autres causes que l’éducation peut seule rendre impuissantes. Cette férocité produit dans l’âme l’orgueil, la haine, le mépris des autres nations, l’indocilité & autres sentimens, qui dépravent le caractère, comme des alimens grossiers font un esprit lourd, épais, dont la paresse & l’indolence sont les attributs favoris.

Mr. Pope a bien connu tout l’empire de la gourmandise, lorsqu’il dit : « Le grave Catius parle toujours de vertu, & croit que qui souffre les vicieux, est vicieux lui-même. Ces beaux sentimens durent jusqu’à l’heure du dîner ; alors il préfère un scélerat qui a une table délicate à un saint frugal.

« Considérez, dit-il ailleurs, le même homme en santé, ou en maladie ; possédant une belle charge, ou l’ayant perdue, vous le verrez chérir la vie, ou la détester : fou à la chasse, ivrogne dans une assemblée de province, poli au bal, bon ami en ville, sans foi à la cour. »

Nous avons eu en Suisse un baillif, nommé M. Steiguer de Wittighofen ; il étoit à jeun le plus intègre, & même le plus indulgent des juges ; mais