Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome troisième, 1796.djvu/19

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ce que l’art a fait, vous fait concevoir tout ce qu’il pourroit faire. Mon ami, vous êtes dans l’erreur : on peut bien parler sans langue, msis non sans âme. Pour faire une machine capable de parler & de penser, il faudroit donc être à l’affût d’une âme, lorsqu’en je ne fais quel temps, & je ne sais comment, elle vient se nicher incognito dans nos veines ; au moment même, la prendre au vol, comme un oiseau, & l’introduire par quelque voie dans la machine dont il s’agit ; car n’est-ce pas ainsi que les choses se passent dans l’homme, selon les savans théologiens.

Oui savans, mon esprit. Vous avez beau dire qu’en faisant deux substances dans l’homme, & une seule dans l’animal, ils se jettent par-là dans un vrai cul-de-sac ; qu’ils tombent dans Scilla pour éviter Caribde ; s’ils n’étoient pas aussi éclairés que je le dis, si leurs études n’étoient pas fortement liées à la philosophie, oseroient-ils s’ériger en juges des philosophes, eux qui font si modestes ?

Mais j’ai peur qu’on ne m’accuse moi-même de les persiffler, comme vous faites. Peut-on en effet aussi gaiement manquer de respect à d’aussi graves personnages ? Tel est le danger de vivre en mauvaise compagnie : mon esprit, vous me perdez. Savez-vous que ces meilleurs sont de fort bons chrétiens, mais des ennemis redoutables, pour qui tout est égal, le faux & le vrai ? En voulez-vous