Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome troisième, 1796.djvu/52

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à nous défier de nos sensations les plus intimes & les plus chères ? Sommes-nous réduits à chérir tellement l’erreur, que nous ayions à craindre de n’y être plus livrés ? Hélas ! oui, nos sentimens les plus doux sont involontaires, comme nos pensées. Il faut s’attendre, loin d’y pouvoir compter, que ceux qui nous flattent le plus, nous seront bientôt à charge. Plus on a l’imagination vive, plus le cœur reçoit fortement les impressions, plus on est volage ; il est trop impossible de sentir long-temps & vivement, & par conséquent, (j’en demanderois pardon au beau sexe, si le général ne gagnoit pas ce que perd le particulier) l’inconstance est le partage nécessaire de ceux qui savent le mieux aimer.

Que de nouveaux traits je pourrois ajouter ici ! Parlerai-je de cette femme respectable qui craint de se livrer à l’objet de sa passion ? Elle accorde à l’idée de son amant plus qu’à lui-même, pourquoi ? C’est, lui dit-elle, que je n’ai à craindre avec votre idée, ni indiscrétion, ni inconstance, & que je la suppose, en un mot, telle que je voudrois que vous fussiez. Se peut-il que deux cœurs saits l’un pour l’autre, puissent separément être heureux, & que la nature, trop industrieuse, ait imaginé les moyens de se passer de l’amour, qui en gémit ?

J’apperçois une fille aimable, que l’amour con-