Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome troisième, 1796.djvu/56

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qu’il y a entre elle & son berger. Qu’elle lui rend bien toute sa surprise ! Toute émue, elle y porte la main en tremblant ; elle le caresse ; & quoiqu’elle en ignore encore l’usage, son cœur bat si vite, qu’elle ne se connoît presque plus. Mais enfin, lorsque la nature lui suggère cet usage, elle le regarde comme un monstre, la chose lui paroit absolument impossible : elle ne sait pas, la pauvre Nicette, tout ce que peut l’amour.

L’idée du crime n’a point été attachée à toutes ces recherches ; elles sont faites pour de jeunes cœurs, qui ont besoin d’aimer, avec une pureté d’âme que jamais n’empoisonna le repentir. Heureux enfans ! qui ne voudroit l’être comme vous ? Bientôt vos jeux ne seront plus les mêmes ; mais ils n’en seront pas moins innocens : le plaisir n’habita jamais des cœurs impurs & corrompus. Quel sort plus digne d’envie ! vous ignorez ce que vous êtes l’un à l’autre : cette douce habitude de se voir sans cesse, la voix du sang ne déconcerte point l’amour ; il n’en vole que plus vîte auprès de vous, pour serrer vos liens & vous rendre plus fortunés. Ah ! puissiez-vous vivre toujours ignorés dans cette paisible solitude, sans connoître ceux à qui vous devez le jour ! Le commerce des hommes seroit fatal à votre bonheur ; un art imposteur corromproit la simple nature, sous les loix de laquelle vous