Page:La Mettrie - L'homme machine, 1748.djvu/73

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continuelle & rapide de nos idées; elles se chassent, comme un flot pousse l'autre; de sorte que si l'imagination n'emploie, pour ainsi dire, une partie de ses muscles, pour être comme en équilibre sur les cordes du cerveau, pour se soutenir quelque tems sur un objet qui va fuir, & s'empêcher de tomber sur un autre, qu'il n'est pas encore tems de contempler; jamais elle ne sera digne du beau nom de jugement. Elle exprimera vivement ce qu'elle aura senti de même; elle formera les Orateurs, les Musiciens, les Peintres, les Poëtes, & jamais un seul Philosophe. Au contraire si dès l'enfance on acoutume l'imagination à se brider elle-même; à ne point se laisser emporter à sa propre impétuosité, qui ne fait que de brillans Entousiastes; à arrêter, contenir ses idées, à les retourner dans tous les sens, pour voir toutes les faces d'un objet: alors l'imagination prompte à juger, embrassera par le raisonnement, la plus grande Sphère d'objets, & sa vivacité, toujours de si bon augure dans les Enfans, & qu'il ne s'agit que de regler par l'étude & l'exercice, ne sera plus qu'une