Page:La Muse Française, t. 1, éd. Marsan, 1907.djvu/143

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Grèce apparaissent, dans ce morceau, à travers je ne sais quelle teinte moderne qui empêche l’illusion : le poëte a beau nous décrire un sacrifice et faire résonner de loin en loin à nos oreilles les noms harmonieux de Délos, d’Apollon, de Thèbes, de Mycène et de Linopus ; il n’y a pas de magie dans ses vers ; il ne parvient point à s’emparer de notre imagination et à nous transporter dans les temps antiques. Cette absence de couleur locale est un défaut beaucoup plus senti de nos jours qu’il ne l’a jamais été en France ; on ne le pardonne plus guère. Les tableaux si vrais offerts à notre admiration par les grands prosateurs du siècle, Bernardin de Saint-Pierre et M. de Chateaubriand, nous ont rendus insensiblement plus difficiles à cet égard, et il faut convenir que l’école poétique du XIXe siècle, telle que nous la promettent ses brillans essais, leur sera redevable d’un de ses plus doux enchantemens.

Cependant, après l’ode et le poëme proprement dit, qui, exigeant les éminentes qualités du poëte, ne peuvent se passer des hautes inspirations de la lyre et d’un charme presque continu, il est un autre genre de poésie où le cœur et l’imagination ont moins de part et qu’il faut bien se garder de dédaigner. Quoique, dans le siècle dernier, on en ait abusé d’une manière étrange, il offre encore une belle perspective de gloire à un homme de talent que l’invincible nature, si avare de ses dons, condamne à ne pas s’élever plus haut. C’est dire assez que je veux parler de la poésie philosophique, qui tour à tour revêt des formes graves et didactiques, ou prend à volonté une allure plaisante, naïve et familière. M. Saintine me semble appelé incontestablement à occuper un rang distin-