Page:La Nature, 1878, S2.djvu/55

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trouver en contact avec des régions polaires partiellement envahies par les glaces et ressemblant fort à ce qui devint plus tard l’Europe quaternaire.

Tant que les terres arctiques, simplement refroidies, ne possédèrent pas des glaces permanentes accumulées et par conséquent ne produisirent pas des glaces flottantes, l’Europe, bien que soumise elle-même à un abaissement de température provenant d’un phénomène extérieur à elle, ne reçut de ce voisinage que des effluves et des courants médiocrement actifs. Il n’en a plus été de même plus tard, et dès lors les glaces polaires soit fixes, soit flottantes, ont dû accélérer singulièrement par leur contact ou leur proximité la rapidité du mouvement qui tendait à déprimer partout la température. C’est là un point de vue capital et une cause dont la puissance, jointe au retrait de la mer miocène, a dû contribuer plus que tout autre à réaliser dans notre zone les conditions climatériques qui la gouvernent maintenant.

il me reste à exposer ce qui touche au dernier des trois ordres de phénomènes que nous avons eu en vue au début de ce résumé : celui qui résulte des modifications éprouvées par le règne végétal, soit dans la disposition de ses éléments constitutifs, soit en lui-même, par suite des variations morphologiques de l’organisme. Il y aurait donc lieu à deux séries de considérations, en réalité très-distinctes, les unes relatives aux caractères des divers ensembles de végétaux qui ont habité successivement l’Europe tertiaire, les autres concernant les types eux-mêmes, indépendamment de leur rôle dans chacun de ces ensembles, mais au point de vue de leur filiation présumée et des variations subies par les espèces qui les ont représentés.

Nous savons effectivement qu’il a existé des éléments très-distincts dans la végétation européenne tertiaire, et que de la combinaison et de la prédominance simultanée ou alternative de ces éléments sont sortis un certain nombre d’ensembles, propres à chacune des périodes que nous avons signalées.

Considérée dans ses traits les plus généraux la végétation tertiaire a changé quatre fois en Europe, et ces changements, en ne tenant pas compte des transitions souvent très-ménagées au moyen desquelles ils se sont accomplis, ont donné naissance à quatre ensembles successifs de végétaux qui doivent être nommés : paléocène, éocène, miocène et pliocène. Cependant, le dernier de ces quatre ensembles n’est qu’une suite ou une conséquence de celui qui l’a précédé ; à bien prendre les choses, la flore pliocène n’est qu’une flore miocène dépouillée de la plus grande partie de ses types d’affinité méridionale ou tropicale, et graduellement transformée par la prépondérance de l’un des éléments partiels que comprenait celle-ci.

Ce sont ces éléments constitutifs qu’il nous faut définir avant tout.

Gardons-nous de confondre tout d’abord les éléments indigènes ou autochthones, avec les éléments introduits ou implantés en Europe par voie de migration ou de communication, que ceux-ci se soient maintenus sur notre sol ou qu’ils en aient été plus tard totalement ou partiellement éliminés. Une autre distinction qu’il ne faut pas manquer de faire, pour la juste appréciation des éléments de la végétation tertiaire, c’est celle du type ou genre et de l’espèce comprise dans ce type ; la marche et les enchaînements de l’un n’ayant au fond rien de commun avec la filiation et l’histoire particulière de l’autre. L’Europe peut avoir possédé de tout temps certains types et cependant avoir reçu du dehors à un moment donné d’autres espèces faisant partie de ces mêmes types, mais introduites par voie d’immigration et demeurées depuis indigènes, tandis que les formes plus anciennes auraient fini par périr et auraient été éliminées. Dans ce dernier cas, le type autochthone aura survécu, mais seulement à l’aide d’une forme importée du dehors et originairement étrangère. Ainsi, l’Europe paraît avoir eu à tous les âges tertiaires des chênes ; mais ces chênes étaient d’abord des chênes verts, et le type de nos rouvres qui représente à lui seul aujourd’hui le genre Quercus dans le centre de l’Europe, pourrait bien avoir été importé du dehors. Le type bouleau et le type orme remontent fort loin dans le passé ; il est pourtant à croire que notre bouleau commun et notre ormeau vulgaire nous sont venus du nord et ne se sont montrés en Europe, en tant que formes spécifiques, qu’à partir de l’époque où le climat avait perdu décidément sa chaleur. Il existait bien des Tiliacées en Europe, au commencement du tertiaire ; mais le genre Tilia proprement dit, polaire d’origine, n’est arrivé en Europe que vers la fin du miocène, et il y a été vraisemblablement importé en même temps que le platane et le ginkgo que notre continent n’a pas conservés, mais qui existent sous des latitudes équivalentes, en Asie, en Amérique, au Japon. Ce sont là pour nous des types acquis, les uns momentanément, les autres d’une façon définitive. Mais, comme les types, genres ou sections de genre, sont nécessairement représentés par des espèces ou races héréditaires, quelquefois même par une espèce unique, il se trouve, en ce qui tient par exemple au Salisburia ou ginkgo, que l’Europe, après avoir possédé une première fois le genre, lors des temps secondaires, a reçu beaucoup plus tard le Salisburia adiantoides, forme à peine différente de l’espèce chinoise actuelle. Ainsi, dans ce dernier cas, le type seul serait autochthone en Europe, et, après une longue interruption, il y aurait été réintégré au moyen d’une espèce partie des environs du pôle pour s’avancer de là vers le sud. On voit combien ces phénomènes de filiation et de migration se trouvent complexes, lorsque l’on cherche à les préciser, en se servant de particularités empruntées à la flore fossile.

En résumé, nous distinguons en fait d’éléments de végétation ou catégories de types associés :

1° Une première catégorie, indigène ou autochthone, comprenant des types nés de la région et ne l’ayant jamais quittée à partir de leur première origine.