Page:La Nature, 1878, S2.djvu/54

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

sur l’autre. À Armissan, près de Narbonne, la profusion des pins est si grande que l’on doit concevoir l’existence d’une région boisée et montueuse, occupée par une grande forêt d’arbres résineux, comme on le voit de nos jours au pic de Ténérife et sur les hauts plateaux mexicains. Cette région aurait coïncidé avec le massif secondaire de la Clape qui forme aujourd’hui un plateau accidenté entre Armissan et la mer. Les pins de cette forêt comprenaient au moins dix espèces, la plupart de grande taille et assimilables par leurs cônes, leur feuillage et leur port, soit au pin des Canaries, soit aux espèces mexicaines ou à celles de l’Himalaya. À ces pins se joignait sans doute un sapin dont les cônes seuls sont connus et ont été décrits sous le nom d’Entomolepis cynarocephala, Sap. L’analogue de ce type tertiaire, maintenant fort rare, s’observe en Chine, où existe l’Abies jezoensis Lindl. (Keteleeria Fortunei, Carr.), seule espèce vivante qu’on puisse comparer à celle d’Armissan, à cause des écailles frangées-lacérées de ses strobiles. Les arbres servant de ceinture à cette forêt d’essences résineuses, à Armissan, étaient principalement des bouleaux, des charmes, des châtaigniers, certains chênes à feuilles persistantes, auxquels il faut joindre un peuplier, un saule, divers érables, de très-beaux houx et plusieurs noyers. Au bord même du lac se pressaient des Séquoia, des palmiers, des dragonniers, des Aralia aux feuilles palmées ou digitées, associés à une foule de myricées, à des laurinées, à des Acacia et à des Engelhardtia, sortes de Juglandées tropicales. On voit que les deux ensembles, bien que contigus et assez mélangés, pour que leurs débris aient été s’enfouir pêle-mêle au fond des mêmes eaux, peuvent encore se distinguer, lorsqu’on les examine de près pour opérer le triage de leurs éléments respectifs.

À Manosque, un contraste de même nature est amené d’un côté, par des aunes, des bouleaux, des hêtres, quelques chênes, des charmes, des saules et des peupliers, des érables, des frênes et des noyers, qui formaient sans doute un bois situé à l’écart sur des pentes montagneuses et, de l’autre, par des masses de Myricées aux feuilles dentées-épineuses, de lauriers, de camphriers, de Myrsinées et de Diospyrées, de Sophorées, de Césalpiniées et de Mimosées, auxquels se joignaient quelques palmiers. Le long des eaux s’étendait une lisière de Glyptostrobus et de Séquoia, entremêlés de fougères subtropicales, amies des stations inondées. La distinction est encore possible, mais plus tard on remarque un mélange de plus en plus intime des deux ensembles qui se confondent et partagent les mêmes stations, celui dont l’affinité pour la chaleur est visible, tendant à perdre de son importance et à décliner de plus en plus, tandis que l’autre empiète sur le premier, jusqu’au moment où, grâce aux circonstances, il réussira à l’éliminer d’une manière presque absolue.

C’est au moment où l’issue de la lutte était encore indécise et où la balance penchait encore en apparence en faveur de l’association de plantes, alliée de plus ou moins près à celles du tropique, que l’invasion de la mer molassique et de la mer des faluns eut lieu dans le centre, dans le sud et dans l’ouest de l’Europe, qui fut de nouveau découpée à peu près comme elle l’avait été antérieurement, à l’époque des nummulites. La différence consiste cette fois en ce que, le relief de la région des Alpes commençant à se prononcer, la nouvelle mer se trouva rejetée vers le nord de façon à occuper les dépressions que jalonnent encore de nos jours la vallée du Rhône, celle de l’Aar, celle du Rhin supérieur et plus à l’est celle du Danube (fig. 2).

L’Europe centrale conserva une température tiède et un climat fort doux pendant toute la durée de la mer miocène, dont la présence au centre de notre continent et plus loin, au milieu de l’Asie, dut contribuer à ce maintien ; je ne reviendrai ni sur cette influence aisée à comprendre, ni sur les résultats opposés qui tendirent à prévaloir après le retrait de cette mer. Ces résultats amenèrent assez promptement dans le nord de l’Europe un abaissement de la température dont la marche fut cependant beaucoup plus lente dans le sud du continent et surtout par delà le revers méridional de la chaîne des Alpes. Il suffira de noter, comme un indice précieux de la géographie botanique de l’Europe miocène, que dans l’aquitanien les plantes de la région baltique ou région de l’ambre démontrent que la limite boréale des camphriers touchait au 55e{{}} degré latitude. L’AlIemagDe, à la même époque, avait des palmiers jusqu’au delà du 50e degré latitude. Cet état de choses a persisté tant que la mer miocène n’a pas été déplacée, et l’on conçoit sans peine comment les plages sinueuses de cette mer, sur les deux rives du canal étroit qu’elle profilait du bas Jura aux environs de Vienne, en Autriche, avaient dû revêtir à la longue un aspect uniforme. Les mêmes essences végétales s’étaient étendues de part et d’autre, d’après une loi dont une foule d’exemples empruntés au monde actuel offrent la confirmation.

Cette circonstance favorable au maintien d’une douceur exceptionnelle du climat européen miocène n’empêche pas de concevoir le refroidissement du globe terrestre, comme dépendant d’une cause tout à fait générale, sur laquelle l’attention du lecteur a été déjà attirée à plus d’une reprise. Le phénomène une fois inauguré n’a jamais dû arrêter absolument ses progrès ; sa marche, presque insensible à l’origine, avait atteint les régions voisines du pôle, bien avant de se manifester en Europe, et le contre-coup de ces premiers effets n’a pas été sûrement sans influence sur la rapidité relative du refroidissement auquel l’Europe elle-même fut à la fin soumise.

Nous avons précédemment insisté sur les prodromes de ce dernier événement, mais il est bien certain, pour le redire en deux mots, que les régions polaires se trouvant déjà refroidies à la fin de l’éocène, c’est-à-dire dès lors pourvues d’une végétation peu différente de celle que posséda plus tard l’Europe pliocène, celle-ci, à son tour, dut nécessairement se