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LA NATURE.

Dans ce but, il plaça un de ces engins à l’avant du petit bateau et se dirigea droit sur le navire-amiral, qui était l’Hoosatonic ; il l’atteignit, fixa sa torpille et s’éloigna… Un montent après, l’arrière de l’Hoosatonic sautait, et le bâtiment tout entier s’abîmait dans les flots ! Le torpedo-boat était créé.

L’exemple donné devant Charleston ne fut pas perdu. Les Américains commencèrent à construire des petits canots sur le modèle de celui qui avait si bien frappé le navire fédéral, avec cette différence, qu’ils n’étaient pas sous-marins et qu’ils étaient pourvus d’une machine à vapeur.

À l’avant, un espar d’une vingtaine de pieds s’avançait. Un mécanisme très-simple permettait de manœuvrer cette lance, à l’extrémité de laquelle était la torpille. Celle-ci consistait en un vase de cuivre ayant la forme d’une bouteille de champagne, rempli d’une poudre puissante, et dont le ventre était pourvu de cinq détonateurs. La tête de l’espar s’enfilait dans le col de la bouteille, où celle-ci était, retenue par une clavette.

Le mécanisme qui faisait mouvoir la lance permettait de l’incliner sous l’eau dans la mesure nécessaire pour atteindre le navire au point que l’on supposait le plus vulnérable.

Le premier essai de ce genre de bateau eut lieu dans la nuit du 9 avril 1864 contre le Minnesota, navire amiral fédéral, mouillé à Hampton-Roads, devant Newport-News. Le canot employé dans cette affaire se nommait le Squib et avait été confié au fameux capitaine Davidson. Aidé de deux hommes, celui-ci descendit la rivière dans le Squib et s’approcha d’abord de l’Atalanta ; mais ce bâtiment étant près du rivage, et d’ailleurs environné d’embarcations, les torpilleurs se dirigèrent sur le navire le plus voisin, qui se trouvait être le Roanoke ; malheureusement ce dernier n’était guère plus accessible que le premier, occupé, qu’il était à faire son charbon, et par conséquent presque entièrement entouré de chalands.

Le Squib fut hélé ; Davidson répondit qu’il venait du fort Monroë et qu’il apportait des dépêches pour l’amiral ; bénévolement on lui indiqua alors le lieu où était mouillé le navire de cet officier.

La lune brillait au ciel, çà et là cependant, obscurcie par quelques nuages, ce qui ne permettait pas au Squib de se diriger aussi bien que le désirait son audacieux équipage. Avant d’atteindre le Minnesota, Davidson fut donc interpellé plus d’une fois par les navires près desquels il dut passer. Il leur fit la réponse qu’avait déjà reçue le Roanoke, et continua sa course ; mais en approchant du Minnesota les qui vive ! devinrent plus impérieux, et ordre fut donné de délivrer ses dépêches au tender, qui était en arrière.

Davidson comprit que le moment était venu d’agir. Lançant donc son canot, il contourna le navire de façon à l’atteindre sur tribord.

L’officier de quart, croyant à une faute de manœuvre, réprima vertement le commandant du canot ; mais celui-ci ne tenant aucun compte de l’observation dont sa gaucherie simulée était l’objet, l’officier comprit enfin le péril qui le menaçait et donna aussitôt le signal d’alarme. « C’est le canot-torpille Squib des confédérés ! » lui cria Davidson. Au même moment, le Squib frappait le Minnesota à 8 pieds au-dessous de sa ligne d’eau, tout près de l’hélice.

Le choc fut si violent que l’arbre de l’hélice fut projeté hors du centre, quatorze canons de la batterie furent démontés, et plusieurs matelots jetés hors de leurs hamacs. Le Squib, cause de ce désordre était lui-même dans une situation difficile : le choc ayant fait sortir de leurs paliers les tourillons de son unique cylindre, il se trouvait dans l’impossibilité de s’éloigner. Quelques matelots et marines du navire fédéral, revenus de leur surprise, lui tirèrent plusieurs coups de carabine et quelques coups de canon de bordée ; mais le Squib était trop près de la frégate pour être atteint. Enfin son mécanicien, qui avait conservé toute sa présence d’esprit, ayant remis les tourillons à leur place, la machine reprit son mouvement et le canot, favorisé par l’obscurité, rentra dans la rivière, sous une pluie de projectiles dont aucun ne le toucha.

Les confédérés ne furent pas seuls à faire usage des canots-torpilles. M. Wood, professeur de machines à l’École navale d’Annapolis, inventa un bout-dehors et un obus-torpille qui, pendant la guerre, fut appliqué à quelques canots d’avant-poste. Ce bout-dehors diffère de l’espar des confédérés en ce qu’il est creux ; il contient intérieurement un plus petit bout-dehors ou tige. Le tout est avancé ou abaissé au moyen d’un mécanisme. C’est avec un bateau de ce genre que le lieutenant Cushing, de la marine fédérale, entreprit l’expédition qui l’a rendu célèbre.

C’était en 1864. Les navires fédéraux étaient sur le Roanoke, devant Plymouth. Deux fois l’Albemarle ; monitor confédéré, avait paru au milieu d’eux, et chaque fois leur avait fait les avaries les plus graves. « Las de le combattre sans résultats avantageux, dit le secrétaire de la marine dans son report de 1864, le commandant des forces navales dut se préoccuper d’en avoir raison par des moyens autres que les moyens ordinaires, et choisit dans cette intention le lieutenant W. B. Cushing. On mit à sa disposition un des canots destinés au service d’avant-garde, sur lequel on plaça une torpille Wood d’une puissance extraordinaire. Le lieutenant Cushing reçut l’ordre de faire ses préparatifs, et l’exécution suivit de près, aussi brillante que rapide. Avec quatorze officiers et matelots qui s’offrirent pour le seconder, il remonta le Roanoke jusqu’à Plymouth dans la nuit du 27 octobre, attaqua le bélier amarré à quai, défendu par son équipage et par un détachement de soldats postés à terre, et le coula. »

« Le lieutenant Cushing revint seul avec un de ses hommes, ajoute le Report ; tout le reste fut tué. Mais le succès de cette audacieuse entreprise faisait tomber la plus solide défense de Plymouth. »