Page:La Nature, 1873.djvu/250

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
242
LA NATURE.

son centre une cavité dans laquelle est installé le système éclairant. Ce dernier se compose d’une boite métallique (destinée à contenir le phosphure de calcium), encastrée dans le flotteur et traversée par un tube qui dépasse d’une certaine longueur en haut et en bas. Ce tube, dans la portion qui traverse la boîte, est percé de trous permettant, au moment favorable, l’entrée de l’eau nécessaire à la décomposition du phosphure. Deux robinets, disposés, l’un à la partie supérieure du tube, l’autre au-dessous du réservoir métallique, sont reliés par une tige qui les rend solidaires l’un de l’autre : ils sont manœuvrés par la traction d’une corde, attachée par un anneau à la tête du robinet supérieur, que protège contre les chocs une calotte métallique percée d’un trou dans lequel passe la corde. Pour faciliter le changement de la boîte à phosphure, quand sa provision est épuisée, l’assemblage de celle-ci avec le tube est à vis ; dans le but de rendre la fermeture plus hermétique, une rigole ménagée à cet effet permet de couler un peu de résine qui intercepte complètement le passage de l’air.

Tels sont les organes essentiels de l’appareil ; il est facile maintenant d’en comprendre le jeu. Lorsque le factionnaire a coupé l’amarre, passée dans une poulie, qui tient la bouée suspendue par ses trois chaînettes, la première secousse fait raidir une ficelle de résistance moyenne, attachée d’une part à la tige des robinets et de l’autre à un piton fixé sur la poulie : cette action suffit à faire ouvrir les deux robinets qui doivent permettre l’entrée de l’eau et la sortie du gaz. Ce premier mouvement accompli, la ficelle se brise ; on choisit en effet, pour cet usage, le filin qui sert à fabriquer les cartouches à boulets ; ce cordage ne peut supporter, sans rupture, la secousse donnée par un poids de 50 kilos environ. La bouée tombe alors à la mer, et l’eau s’introduit aussitôt dans le tube inférieur, par les trous duquel elle passe dans le réservoir : dès que l’eau se trouve en contact avec le phosphure de calcium, l’hydrogène phosphoré se dégage et vient s’enflammer à l’orifice du tube supérieur dont le robinet est ouvert ; la flamme obtenue jouit d’un éclat remarquable et ne peut s’éteindre tant qu’il reste du gaz. Le dégagement est même si intense, au commencement de l’opération que, pendant les cinq premières minutes, la flamme a plus de 50 centimètres de longueur ; on a reconnu, dans les expériences faites à Toulon, qu’une charge de 450 grammes de phosphure, avec un tube dont l’orifice supérieur est de 4 millimètres, fournit une lumière qui dure une heure dix minutes. Pendant la dernière demi-heure, la réaction se faisant avec plus de lenteur, par suite de l’épuisement de la matière contenue dans le réservoir, il y a, dans le jet de flammes, quelques intermittences, mais elles sont de courte durée. Nous avons représenté le curieux appareil, flottant à la surface des flots au moment où, grâce à sa vive lumière, il va pouvoir assurer le salut au malheureux qu’un coup de mer a arraché de son navire.

M. F. Silas, archiviste de l’ambassade de France, à Vienne, a développé, dans un mémoire publié en 1869, diverses autres applications du phosphure de calcium à des appareils qui pourraient être d’une grande utilité pour les marins, exposés pendant la nuit à tous les dangers de la tempête. L’auteur fait valoir les avantages que présenterait son procédé pour établir : — un petit fanal portatif, qui, réuni par un lien à la ceinture de sauvetage, flotterait derrière le naufragé de manière à le faire distinguer dans l’obscurité ; — un fanal de détresse à grande flamme, permettant à un navire en danger de signaler sa présence au loin, et d’éclairer au besoin les embarcations de sauvetage ; — enfin, divers systèmes de transmission nocturne de dépêches, signaux, etc. — M. Silas indique encore un autre usage spécial de ses appareils qui mérite d’être mentionné : il propose de les utiliser, sur les voies de chemins de fer, pour garantir un train en détresse par un feu visible à une distance considérable, n’exigeant pour être allumé qu’un peu d’eau et résistant au vent et à la pluie.

L’amiral Rigault de Genouilly, ministre de la marine, avait, en 1868, fait étudier avec le plus grand soin, par l’École de pyrotechnie de Toulon, les bouées à lumière inextinguible ; tous les rapports faits par les commissions appelées à juger du mérite de cette invention lui furent très-favorables. Depuis cette époque, on a entrepris sur ce sujet une série de recherches dirigées à un double point de vue : d’une part, le fonctionnement facile et immédiat des bouées, et de l’autre, la parfaite conservation du phosphure soumis à des circonstances atmosphériques variables. On a d’ailleurs fait distribuer à toutes les stations navales que possède la marine française dans les mers lointaines des bouées Silas destinées à être expérimentées sous différentes latitudes.

Les études consciencieuses faites à cet égard par nos officiers avaient été un peu perdues de vue à la suite de la dernière guerre ; elles sont reprises en ce moment avec toute l’attention que comporte un sujet intéressant à un si haut point la navigation maritime. Une circonstance récente vient encore contribuer à l’actualité de la question qui nous occupe : la marine anglaise se dispose à adopter, d’une manière générale, les bouées à lumière inextinguible, sous le nom d’un étranger qui s’est contenté de copier l’idée de notre compatriote[1]. Il appartient à la France de revendiquer la priorité de cette invention, et de rendre à chacun ce qui lui est dû, selon l’adage latin : Suum cuique.

P. de Saint-Michel.

  1. Nous avons parlé de cette invention (Chronique du 5 juillet 1873) et nous sommes heureux de rectifier aujourd’hui l’erreur que nous avions bien involontairement commise, au détriment d’un de nos compatriotes. (G. T.)