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LA NATURE.

Nous ne discuterons pas l’appréciation du savant anglais, mais nous reproduirons d’après l’Économiste français, les résultats de ses intéressantes investigations sur quelques-uns des plus importants ports de l’Inde.

En partant de l’est, le premier port de quelque importance que l’on rencontre sur cet immense développement de côtes est celui de Rangoon, situé sur l’une des quatorze bouches par lesquelles l’Irawaddy, le grand fleuve des Birmans, se jette, après un parcours de 1 800 kilomètres, dans le golfe de Martaban. La ville de Rangoon renferme 25 000 habitants et son port a de la valeur, tant au point de vue militaire qu’au point de vue commercial ; mais on lui reproche d’être d’une entrée difficile, et on s’est déjà demandé s’il n’y aurait pas lieu de créer un établissement semblable sur la branche principale de l’Irawaddy. De même, les abords de Calcutta ne sont point faciles et c’est pourquoi le gouvernement indien a essayé, il y a quelques années, de remédier à cet inconvénient par l’ouverture d’un autre port sur la rivière Mutlah, qui a reçu le nom de Port Canning et qu’une voie ferrée a réuni à la capitale du Bengale. Mais on a de la sorte dépensé beaucoup pour arriver à un faible résultat.

Le port de Cattack, à False Point, qui n’existe que depuis la grande famine de la province d’Orissa, n’est point mauvais ; mais l’ancrage y est soumis aux caprices de la grande rivière qui vient s’y jeter à la mer, et tel est aussi le cas de Coringa, trop voisin des bouches du Godavery. Nos traités français de géographie continuent de parler du bon port de Masulipatam, situé sur une des branches de la Kishnah. La vérité est que la prospérité de Masulipatam n’est plus qu’un souvenir et que le vrai débouché du bassin de la Kishnah et du bassin du Godavery est aujourd’hui Coconada, grâce aux canaux qui l’unissent à ces deux rivières.

En suivant toujours le littoral de l’est à l’ouest, on arrive à Madras. La position de Madras, comme grande place maritime, n’a pas été des mieux choisies : le général Cotton ne fait nulle difficulté de le reconnaître, et cette observation, déjà faite pour Calcutta, il l’étend à Bombay même. Mais enfin, ces ports existent, on a consacré à leur amélioration de très-grosses sommes, et, dans l’état actuel des choses, ce serait folie de les supprimer. Tout ce qu’il y a lieu de faire, c’est de les améliorer encore. Sir Arthur Cotton estime qu’en dotant la rade de Madras d’un brise-lames, on en aura fait de beaucoup le meilleur des ports indiens actuels ; c’est une opinion qu’il défend depuis près d’un demi-siècle, et elle a encore pour elle l’opinion d’à peu près tous les hommes compétents.

En continuant de s’avancer vers la pointe sud de la péninsule, le cap Comorin, on rencontre Pondichéry et Tuticorin. Pondichéry étant à la France, ne figure point dans le travail du général Cotton. C’est le chef-lieu de nos établissements dans l’Inde, un port peu commode et une ville qui renferme aujourd’hui 40 000 habitants, tandis qu’elle en avait 90 000 au temps de Dupleix.

Tuticorin n’est qu’un amas d’écueils et non un port. Il ne doit quelque importance qu’à sa situation au vent du Pont-d’Adam, dans l’île de Ceylan, pendant la mousson du sud-ouest. Il est évident qu’au sud, l’Inde anglaise manque d’un bon port. Sir Arthur Cotton pense que ce port pourrait être créé près du cap Comorin, ou à 20 milles plus à l’ouest, à Colachul, par exemple, sur les côtes du territoire de Travancore. Mais les lieux n’ont pas encore été bien reconnus, et d’ailleurs, ni le cap Comorin, ni Colachul ne sont en pays anglais. Aussi le commandant Dundas Taylor indique-t-il de préférence la baie de Mutapetta, autrement appelée Port Lorne. Ce point possède, selon lui, tous les éléments d’un bon port de commerce, auquel on pourrait faire aboutir et le réseau des chemins de fer de l’Inde méridionale et le système de canalisation que propose le lieutenant général Cotton.

Cette question d’un bon port au sud de l’Inde a conduit le commandant Taylor à l’examen d’une autre question assez controversée, la création d’un canal maritime entre le golfe de Manaar et la baie de Palk, ou, en termes plus généraux, entre l’île de Ceylan et l’Inde du sud.

Nous arrivons à Bombay, qui est une ville de plus de 800 000 âmes et le premier port militaire de toute l’Inde britannique. C’est aussi un grand entrepôt commercial, et l’on évalue à plus d’un milliard le chiffre des affaires qui s’y traitent annuellement. Si Bombay était accessible par eau à l’Inde intérieure, au taux de 1/20e de denier par tonne et par mille, ce à quoi la chaîne des Ghattes empêche de songer, le commerce dont ce point est le centre, et qui est représenté par 1 000 000 de tonnes, paraîtrait susceptible de quintupler. Aussi bien le port de Bombay et sa rade paraissent-ils réclamer des améliorations assez nombreuses ; il y aurait lieu de réduire la trop grande étendue de l’une par des brises-lames et de construire des quais dans l’autre, car Bombay n’échappe point à l’application de cette sentence de M. l’ingénieur des ports, Roberston, qu’il n’y avait pas sur tout le littoral de la péninsule un seul point où un grand navire puisse débarquer sa cargaison sans l’intermédiaire de bateaux de transport.

On voit que bien des progrès restent à réaliser sur le littoral des Indes anglaises, mais nos voisins d’outre-Manche, avec l’énergie, la constance qui les caractérisent, ne regardent pas à jeter des millions sur ces rivages lointains, qu’ils transforment peu à peu ; ils y édifient des jetées et des digues, ils y creusent des bassins, et ils se signalent chaque jour par quelque nouvelle victoire sur les éléments. Leurs propres intérêts commerciaux subissent l’influence de ces grands travaux, mais il ne faut pas oublier que par contre-coup la civilisation tout entière doit aussi en tirer profit.