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LA NATURE.

qu’elle offre au point de vue de la navigation aérienne, puisqu’elle permet à l’aéronaute de choisir à son gré deux directions différentes.

On se rappelle peut-être que des circonstances analogues nous ont sauvé d’un naufrage imminent, en 1868, lors de notre ascension de Calais, où entraînés jusqu’à sept lieues au large en pleine mer du Nord, il nous a été possible de revenir à terre, en rebroussant chemin, sous l’influence d’un courant de surface, complètement opposé au courant supérieur[1]. L’étude des couches atmosphériques superposées ne présente pas moins d’intérêt au point de vue météorologique ; elle ne peut être bien exécutée qu’à l’aide de l’aérostat. Dans l’ascension, en effet, l’observateur mesure avec exactitude la vitesse des courants supérieurs, dont l’action échappe aux anémomètres terrestres. Connaissant la durée de notre voyage et la longueur de la distance parcourue, nous avons constaté que le courant supérieur dans lequel nous étions plongés avait une vitesse de 35 kilomètres à l’heure. La vitesse du courant inférieur n’était que de 6 à 7 kilomètres à l’heure, ainsi que M. Paul Henry qui nous accompagnait a pu le constater.

L’observateur de la nouvelle comète, habitué aux mesures astronomiques, est facilement arrivé à un résultat exact en observant la différence des temps du passage des bords du ballon sur une ligne terrestre. C’est avec une légitime surprise que nous avons ainsi constaté l’existence d’un courant atmosphérique, entraîné par un mouvement relativement très-rapide au-dessus d’une couche d’air terrestre d’une si faible vitesse.

À la hauteur maximum de l’ascension, c’est-à-dire à 2 600 mètres, l’aérostat s’est trouvé plongé dans un banc de cumulus très-espacés. Ces nuages étaient dominés par une couche épaisse de cumulo-nimbus, dont nous avons évalué l’altitude à 3 600 mètres environ ; quelques éclaircies s’ouvraient çà et là, dans ce massif de vapeurs, et nous laissaient entrevoir le bleu du ciel. À ce moment, M. Paul Henry a constaté que la polarisation de l’atmosphère était beaucoup plus faible qu’à la surface du sol. Pendant le voyage on a relevé à l’aide d’un psychromètre l’état hygrométrique de l’air et les températures[2]. L’air à l’altitude de 2 000 mètres était particulièrement sec, et la quantité d’humidité était plus considérable en se rapprochant de terre.

Nous n’avons pas cessé d’apercevoir l’ombre du ballon, non pas cette fois sur les nuages, mais sur la terre. À 1 h. 35, à l’altitude de 700 mètres, cette ombre projetée sur une prairie est apparue, entourée d’une auréole de diffraction, très-lumineuse et de couleur jaune. Le dessin ci-contre qui a été exécuté dans la nacelle par M. Albert Tissandier, représente fidèlement ce curieux phénomène. — Malheureusement, quelque intéressant qu’ait été notre voyage, nul effet de lumière, aussi grandiose que le 16 février dernier, aussi imposant que dans le cours de quelques-unes de nos ascensions précédentes, ne s’est offert à nos yeux. C’est pour nous un regret réel, car nous avions offert une place dans notre nacelle à un artiste éminent, M. Bonnat, dont le pinceau serait digne de créer la nouvelle école de la peinture aérostatique.

Mais le ciel, une autre fois, sera plus favorable ; pour notre part, nous serons toujours heureux de fraterniser au-dessus des nuages, avec de véritables amis de la nature, artistes ou savants ; car il ne faut pas oublier que l’art véritable et la science bien entendue doivent être considérés comme deux alliés inséparables. L’artiste et le savant ne gravissent-ils pas avec la même ardeur, des chemins également difficiles, qui, quoique différents, conduisent l’un et l’autre au sublime sommet de la vérité[3] ?

Gaston Tissandier.

L’ASSOCIATION BRITANNIQUE

Session de Bradford (1873).

La réunion de l’Association britannique a eu lieu cette année, à Bradford, ville du comté d’York, dont la population atteint environ cent cinquante mille habitants, chiffre qui n’a rien d’exceptionnel de l’autre côté du détroit. Cette industrieuse cité est renommée pour le nombre considérable de gens riches qu’elle possède. On la considère avec raison comme la métropole des manufactures d’étoffes de laine, industrie très-florissante, quoiqu’elle soit loin d’avoir reçu les mêmes développements que celle du coton, dans laquelle l’Angleterre est sans rivaux.

La population de Bradford n’a pas montré le désintéressement, ou au moins l’espèce de patriotisme municipal qu’on rencontre presque toujours dans les villes que choisit l’Association. Bien des visiteurs se sont plaints dans les journaux d’avoir été fort étrillés par les hôteliers, et même par les particuliers qui s’étaient dévoués à les loger. Malgré ce nuage financier, la session s’est en somme heureusement passée.

Elle n’a commencé qu’au milieu de septembre. Ce changement dans les habitudes traditionnelles de la société avait pour but de donner le temps d’achever l’hôtel de ville, dont l’inauguration, pompeusement annoncée, était une des attractions de

  1. Voy. Voyages aériens. — L. Hachette et Cie, 1870.
  2. Voy. Comptes rendus de l’Académie des sciences. — Séance du 13 octobre 1873.
  3. Nous espérons, à la saison prochaine, ouvrir une nouvelle campagne d’observations aérostatiques. L’Administration des postes nous a confié un magnifique aérostat de 2 000 mètres cubes ; l’Académie des sciences nous a fait l’insigne honneur de mettre à notre disposition la somme nécessaire à l’acquisition d’instruments de précision, dont nous venons de nous pourvoir ; la Compagnie parisienne nous prête le plus utile concours, en nous autorisant à gonfler notre ballon à l’usine de la Villette, où le directeur ne néglige rien pour faciliter nos études. Il y aurait ingratitude à ne pas répondre, par la reconnaissance et par le dévouement à la science, à de tels encouragements.
    G. T.