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LA NATURE.

charmante une visite au lac Pezzaro, où Virgile avait placé le soupirail qui mena Énée aux enfers.

Tant que l’Empire fut prospère, on ne jurait à la cour que par la science de M. Coste. Il était l’intime de Villeneuve-l’Étang, où l’on mangeait grâce à lui de si délicieuses fritures, aux dépens de ses élèves. Mais quand les revers de l’expédition du Mexique eurent ébranlé toute la machine impériale, on agit comme si l’on se repentait d’avoir nommé M. Coste inspecteur de la pêche maritime et fluviale. On prêta l’oreille à toutes les oppositions ; si l’on eût osé, on eût allégé le vaisseau de l’État en jetant à la mer la pisciculture et le pisciculteur. M. Coste avait commis, en effet, bien des crimes ; depuis qu’il s’était occupé des huîtres, le prix de ces coquillages avait augmenté d’une façon fabuleuse. Les poissons jetés sans discernement dans les eaux où ils ne trouvèrent point de plantes aquatiques s’ils étaient herbivores, et de carpes à dévorer s’ils appartenaient aux races carnassières, avaient singulièrement dépéri ; mais les orages de la politique ne tardèrent point à faire oublier ceux de la pisciculture ! Dès 1851, M. Coste (il n’avait encore que 44 ans) fut nommé membre de l’Institut en remplacement de Blainville dont il avait été le suppléant pendant deux ans au Muséum d’histoire naturelle. Comme nous l’avons raconté, il eut pour concurrent M. de Quatrefages, déjà célèbre à cette époque et qui était soutenu par l’influence toute-puissante encore d’Arago.

Pendant sa longue carrière académique, M. Coste prit une part active à plusieurs débats importants, parmi lesquels nous citerons la génération spontanée et le darwinisme. Représentant la grande école française de Cuvier, M. Coste ne crut pas devoir se laisser séduire par aucune de ces doctrines. Mais animé envers tout le monde d’un inaltérable sentiment de bienveillance, M. Coste apporta dans son argumentation une telle réserve qu’il ne semblait jamais attaquer l’homme dont il combattait le plus vivement les opinions.

Lorsque Flourens fut atteint de la maladie terrible à laquelle il devait succomber, c’est par M. Coste qu’il se fit suppléer dans ses fonctions de secrétaire perpétuel. Malgré ses instances, M. Coste ne voulut recevoir aucune partie des émoluments, et il exerça gratuitement ses laborieuses fonctions pendant trois ans qu’il tint le fauteuil, à la place de l’illustre zoologiste. C’est comme suppléant de Flourens que M. Coste prononça l’éloge de Dutrochet, qui, comme nous l’avons vu plus haut, lui avait fait sentir durement sa supériorité. M. Coste ne garda point rancune à son ancien rapporteur et il s’exprima sur son compte en termes noblement émus.

Travaux de M. Coste.
Récolte des œufs de poisson.

Lorsqu’il s’agit de pourvoir à la succession de Flourens, M. Coste eut pour adversaire M. Dumas, dont le grand talent et la haute influence rendaient la compétition si redoutable. Les partisans de la candidature du grand chimiste auraient triomphé plus difficilement s’ils n’avaient pu invoquer en faveur de leur candidat la faiblesse de la vue de M. Coste, qui ne pouvait que difficilement s’acquitter du dépouillement de la correspondance. Peu de temps après cette lutte honorable pour les deux rivaux, l’Académie, ayant à nommer son président dans la section des sciences physiques, éleva M. Coste à cette haute distinction. Si M. Coste n’avait été retenu hors de Paris par le soin de sa santé lorsque nos désastres se succédèrent avec une rapidité foudroyante, il aurait été chargé de représenter la première Assemblée scientifique du monde devant la Prusse jalouse et la Commune ignorante. Ce fut M. Faye qui le suppléa. Il tint le fauteuil pendant toute l’année terrible que M. Coste passa forcément loin de Paris.

M. Coste ne se releva pas complétement des épreuves qu’il avait subies pendant cette horrible période ; c’est seulement en 1872 qu’il put revenir à Paris, et reprendre de nouveau part aux délibérations de l’Institut. Mais si le corps avait été profondément ébranlé l’esprit était resté intact, l’intelligence avait gardé toute sa vivacité. Il reprit son cours avec une nouvelle ardeur au Collège de France. Son collaborateur, M. Gerbe, mettait ses yeux infatigables et son talent de dessinateur au service des investigations.

M. Coste avait retrouvé son public qui, malgré les malheurs des temps, se pressait autour de sa chaire, presque aussi nombreux qu’autrefois. Jamais il n’avait conçu d’aussi vastes desseins, pour conserver à la France la supériorité que ses travaux lui avaient donnée, dans une science qui marchait de toutes parts à pas de géant. Car les aquariums, dont nous avions pour ainsi dire le monopole, s’étaient multipliés dans les grandes capitales. Les Anglais avaient construit, à Brighton, un magnifique établissement ; l’Association britannique en avait fondé un dans la baie de Naples ; l’aquarium de Berlin devait à nos défaites une réputation croissante. Il fallait réparer