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N° 22. — 1er NOVEMBRE 1873.
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LA NATURE.

LES TAUPINS LUMINEUX

Les personnes qui s’intéressent un peu aux insectes, qui les observent pour augmenter l’agrément des promenades à la campagne, connaissent des coléoptères, nommés élatériens par les entomologistes, et qu’on voit voler dans les prairies, les clairières, sur les bords des routes, surtout dans les mois de mai et de juin. Le plus souvent d’une couleur noire ou bronzée, souvent aussi revêtus de poils soyeux couchés, parfois d’un beau rouge, ils sont remarquables par leur forme oblongue, leur grand corselet en trapèze, plus ou moins prolongé en pointe aux angles postérieurs, et par la brièveté de leurs pattes. Impuissants pour cette raison à se retourner lorsqu’on les place sur le dos en cherchant à prendre appui avec leurs pattes, ils sautent brusquement et retombent sur le ventre, produisant un bruit sec, d’une certaine analogie avec un coup de marteau, qui les a fait appeler taupins, maréchaux ; ce petit manège, qui amuse beaucoup les enfants, a donné à la tribu constituée par ces insectes son nom scientifique, traduction de scarabées à ressort de quelques auteurs anciens. Le corps retourné se cambre sur le plan de position, en s’appuyant au moyen de la tête et de l’extrémité de l’abdomen. Une pointe du dessous du corselet pénètre, par un brusque mouvement de l’insecte, dans une fossette du dessous de l’anneau suivant, et le dos vient alors heurter le plan d’appui, d’où, par réaction, l’animal est lancé en l’air.

Une grande famille de ces insectes, des régions chaudes de l’Amérique, a une autre propriété encore plus curieuse, bien connue depuis longtemps, mais sur laquelle l’attention publique a été de nouveau appelée tout récemment, même dans les journaux non scientifiques.

Ces élatériens sont les pyrophores ; doués d’une phosphorescence bien plus vive que celle de nos modestes vers luisants, émaillant l’herbe de leurs petits feux, et même que celle des lucioles, voltigeant en étincelles plus vives dans les broussailles, sous les yeux émerveillés des touristes en villégiature à Cannes ou à Hyères.

Cucujos de la Havane.
Pyrophorus strabus vu de profil. — Pyrophorus noctilucus au vol et au repos.

Le siège de la phosphorescence des taupins lumineux n’est pas le même ; il réside dans deux grandes taches elliptiques d’un jaune clair pendant le jour placées sur les côtés du corselet, et aussi en une tache triangulaire blanchâtre et transparente, située en dessous sur la membrane qui unit au thorax le premier anneau de l’abdomen. L’éclat répandu est assez fort pour permettre de lire à petite distance. Vers le milieu du siècle dernier, des morceaux de bois des îles contenant des larves ou des nymphes de pyrophores se trouvaient dans un atelier du faubourg Saint-Antoine. Les insectes vinrent à éclosion, et en volant pendant les premières heures de la nuit, illuminèrent par intervalles les fenêtres de vastes pièces complètement inhabitées à cette heure. Il n’en fallait pas tant pour amener un rassemblement de curieux, les Parisiens d’autrefois étant tout pareils à leurs descendants. Grand émoi ! c’est à qui n’osera entrer pour saisir les âmes errantes de ces revenants dont les lueurs présageaient quelque grand désastre. L’his-

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