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LA NATURE.

La pompe centrifuge, que cette machine met en marche, est munie de deux manomètres indiquant, à chaque instant, l’un, le degré de vide, et l’autre, la hauteur d’eau soulevée, y compris les résistances considérables dues au frottement de l’eau sur les conduites.

L’eau, en quittant l’usine de Clichy, est refoulée dans des conduites en fonte de 60 centimètres de diamètre, emboîtées les unes dans les autres et posées en terre ; ces conduites passent sous le pont de Clichy, suivent un chemin parallèle à la Seine, sous la digue de Gennevilliers et viennent déboucher dans un réservoir et dans des bassins, établis auprès de la Seine à côté du champ d’essai de la ville. De là, elles sont déversées dans la plaine de Gennevilliers par des conduites en grès et par des rigoles de distribution, ayant une largeur de 60 centimètres à 1 mètre et une profondeur variable. Ces rigoles traversent la plaine et se dirigent vers les champs d’expérience de Gennevilliers, endroit connu dans le pays sous le nom de Château de la France. Enfin, d’autres conduites partent de l’égout départemental de Saint-Denis, traversent le pont de Saint-Ouen et arrivent par une pente naturelle jusque dans la plaine. Un simple regard jeté sur le plan que nous publions mettra le lecteur au courant de cette distribution des eaux.

Actuellement, la ville de Paris fournit gratuitement aux propriétaires l’eau d’égout, voulant ainsi faciliter les essais et les expériences ; bien plus, prêchant par l’exemple, elle entretient un jardin où un grand nombre de cultures ont été installées, cultures réussissant toutes à merveille.

D’un autre côté, les propriétaires du Château de la France, MM. Joliclerc et Brull, concessionnaires des eaux d’égout, par un traité passé avec la ville de Paris, ont mis à profit, depuis deux ans, les eaux et l’engrais qui leur étaient fournis, se livrant surtout d’une manière toute spéciale à la culture maraîchère. Le procédé employé pour se servir des eaux d’égout est bien simple : on construit grossièrement sur le champ à irriguer un certain nombre de sillons reliés entre eux par une rigole transversale, et l’on met celle-ci en communication avec la conduite de la ville au moyen d’une simple vanne en bois, qu’on peut ouvrir ou fermer.

Les résultats obtenus par ces irrigations permanentes sont plus que frappants ; sur un terrain aride, composé exclusivement de sable, on voit apparaître, sous l’action fécondante de l’eau, une végétation luxuriante : des choux énormes, des poireaux, des artichauts, des carottes, des salades, des arbres fruitiers, des plantes pharmaceutiques, menthe, absinthe, etc., y vivent et s’y développent, prenant en peu de temps des proportions colossales. Les cultures printanières elles-mêmes, à cause de la température plus élevée de l’eau, y réussissent mieux que partout ailleurs. Fait curieux, les eaux charriant un certain nombre de graines se chargent elles-mêmes d’ensemencer les champs ; c’est ainsi que MM. Joliclerc et Brull ont vu se développer des tomates en grand nombre, là où ils n’avaient rien semé.

Pour la culture maraîchère, l’eau a le double avantage de tenir lieu d’engrais et de substituer une opération mécanique à l’arrosement toujours si dispendieux pour le maraîcher.

En effet, un marais ordinaire d’un hectare exige actuellement environ 1 300 francs d’arrosage, 1 500 francs de fumure et 1 500 francs de loyer ; avec l’eau de la ville, les deux premières dépenses seraient certainement réduites de beaucoup, puisqu’elles pourraient être remplacées par un fermage relativement minime.

Le rendement à l’hectare pourrait alors s’élever de 500 francs, prix ordinaire, à 4 000 francs, en moyenne ; ce résultat pourrait être atteint sans aucune exagération.

Jusqu’ici le sol de la plaine de Gennevilliers est tellement perméable, que toute l’eau fournie est immédiatement absorbée ; mais il est probable qu’à un moment donné, il n’en sera plus de même. C’est alors que les entrepreneurs devront mettre en vigueur l’épuration par les procédés chimiques, dont nous parlions plus haut, installant en même temps un outillage spécial pour enlever les matières grasses, qui se trouvent à la surface de l’eau en assez grande quantité, ainsi que des bassins superposés de profondeur variable pour séparer, par décantation, les matières organiques qui, formant une espèce de laque avec le sulfate d’alumine, se précipitent au fond du liquide, en l’espace de quelques instants. En un mot, ils devront chercher à tirer le meilleur parti possible de toutes les matières qu’ils auront en suspension.

L’augmentation de valeur des terrains qu’ils auront ainsi améliorés sera pour eux la source de bénéfices importants qui leur permettront peut-être de franchir la Seine, et de porter leur canalisation jusque dans les plaines de Nanterre, d’Argenteuil, de Franconville et de Pontoise. La ville de Paris aura alors rendu à ces pays un double service, en purifiant les eaux de la Seine et en améliorant les terrains qui avoisinent le fleuve.

Enfin, une dernière objection a été soulevée bien souvent : les eaux d’égout s’évaporant ainsi dans la plaine ne constituent-elles pas un nouveau foyer pestilentiel et ne donnent-elles pas un goût particulier aux productions du sol ?

Nous engageons le lecteur soucieux de se rendre compte de la valeur de cette objection, à visiter lui-même les travaux. Il pourra constater que les eaux courantes des canalisations ne dégagent aucune odeur, et que l’eau des puits n’est en aucune manière altérée par l’absorption des eaux à travers le sol. Quant à la saveur des légumes, il suffira de dire que les restaurants et les hôpitaux de Paris sont les clients assidus des cultivateurs de la plaine.

Il ne reste donc plus à la ville qu’un certain nombre de travaux à accomplir pour que l’assainissement