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LA NATURE.

que les écarts observés dans les recherches sur la gamme majeure : il y a lieu de rapprocher cette indécision des notes du mode mineur du caractère un peu vague et flottant des mélodies de ce même mode et de l’opposer à la netteté, la franchise des mélodies majeures et de la facile détermination des nombres de vibrations des notes de cette gamme.

D’autre part, quelques expériences, moins nombreuses, il est vrai, exécutées sur des tierces faisant partie d’un accord, ont donné des valeurs qui concordent parfaitement avec les valeurs de la gamme naturelle de M. Helmholtz. De telle sorte que les conséquences à déduire des recherches de MM. Cornu et Mercadier sont bien celles qu’ils ont énoncées dans leurs premiers mémoires : la gamme pythagoricienne est celle employée par les musiciens dans l’exécution de leurs mélodies ; la gamme de Zarlin (gamme naturelle de M. Helmholtz) est usitée dans la formation des accords.

Nous ne croyons pas que des expériences aient été, jusqu’à présent, opposées à celles dont nous venons de rendre compte : nous ne pensons pas que les expériences de M. Helmholtz puissent être opposées à ces mesures directes ; elles ne sont pas assez nombreuses, et surtout elles exigent l’intervention de l’oreille de l’observateur ; elles ne nous semblent pas d’ailleurs porter exclusivement sur la gamme mélodique. Du reste, ce savant ne serait peut-être pas éloigné d’admettre les conséquences des travaux de MM. Cornu et Mercadier.

Nous avons dit sommairement que la raison d’être de la gamme naturelle, comme gamme harmonique, avait été donnée, et que M. Helmholtz a prouvé qu’elle est nécessaire. On ne voit pas de semblables raisons pour la gamme pythagoricienne, employée comme gamme mélodique ; on ne comprend pas pourquoi la gamme naturelle ne sert pas à la formation des mélodies ; la génération par quintes, explication plausible d’ailleurs, n’explique que bien difficilement que faisant avec ut une tierce majeure dans un chant, on attaque la note pythagoricienne, alors qu’il faut une succession de quatre quintes pour passer d’une note à l’autre ; quoi qu’il en soit, le fait semble prouvé : il faut l’accepter en attendant que l’on en trouve une explication, et il faudrait encore l’accepter, lors même que l’explication ne serait pas donnée, si de nouvelles expériences ne viennent s’opposer à celles que nous avons décrites.

Dr  C. M. Gariel.

DURÉE DE L’EXISTENCE DES ARBRES

Tout ce qui touche aux arbres, doit nous intéresser. Ne sont-ce pas eux qui nous procurent le doux ombrage et les fruits les plus délicieux ? n’est-ce pas encore par eux que nous traversons les mers, que nous construisons nos maisons ? Il nous donnent l’huile, le vin et d’innombrables substances utiles. Aussi, l’homme a-t-il toujours su leur rendre hommage ; les anciens en faisaient les temples des dieux, ils les consacraient à des divinités particulières : le chêne à Jupiter, l’olivier à Minerve, le peuplier à Hercule. Les Romains avaient un véritable respect pour les grands arbres séculaires ; Pline le naturaliste nous rapporte que le consul Passienus Crispus, illustre par son mariage avec Agrippine, était véritablement amoureux d’un hêtre qu’il possédait dans son bois de Corné, près de Tusculum. Il avait coutume, dit le savant ancien, « de l’embrasser, de s’étendre sur son tronc et de l’arroser de vin[1]. »

Si l’on a toujours apprécié les arbres, tout ce qui concerne leur mode d’accroissement et la durée de leur existence, n’en est pas moins resté, pendant des siècles, à l’état de mystère impénétrable. Duhamel affirmait au siècle dernier que c’est l’écorce qui produit l’arbre ; on le croyait, et personne ne pensait à demander au célèbre académicien d’où pouvait alors provenir l’écorce.

Nous ne ferons pas à nos lecteurs l’injure de leur expliquer que le corps ligneux et l’enveloppe se forment à leur jonction, l’un au dehors et l’autre à l’intérieur, par couches concentriques et successives d’années en années. Nous leur dirons, toutefois, que ce fait si simple qui a soulevé tant de discussions parmi les savants du siècle dernier, était connu du vulgaire, à une époque antérieure. Michel Montaigne, dans son Voyage en Italie, publié en 1581, nous rapporte qu’un ouvrier tourneur, qu’il eut occasion de voir, savait très-bien apprécier l’âge des arbres sur leur coupe. « Il m’enseigna, dit l’auteur des Essais, que tous les arbres portent autant de cercles qu’ils ont duré d’années, et me le fit voir dans tout ceux qu’il avait dans sa boutique. Et la partie qui regarde le septentrion est plus étroite et a les cercles plus serrés et plus denses que l’autre. Par cela il se vante, quelque morceau qu’on lui porte, de juger combien d’ans avait l’arbre et dans quelle situation il poussait. »

L’accroissement des végétaux n’est plus aujourd’hui une énigme ; depuis que le mécanisme de l’ascension de la sève a été dévoilé, chaque jour on découvre de nouveaux faits dans l’histoire de l’organisation végétale. Mais il n’en est pas de même en ce qui concerne la longévité des arbres, car tous les botanistes ne sont pas encore d’accord à ce sujet. Toutefois, la plupart d’entre eux considèrent aujourd’hui les arbres comme des êtres dont la vie n’a pour ainsi dire, point de bornes ; certains grands cèdres de l’Amérique qui vivent, de nos jours pleins de force et de vigueur, seraient nés, d’après ces savants, à des époques extrêmement reculées, sur les débris même des derniers cataclysmes géologiques. Dans la Californie il existe des cèdres, de l’espèce Willingtonia gigantea qui ont plus de 150 mètres de hauteur, et environ 40 mètres de circonférence.

  1. Œuvres de Pline, lib. XVI, cap. 44.