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LA NATURE

le
TÉLESCOPE D’UN MILLION DE DOLLARS

Le Scientific American Journal nous apporte des documents intéressants qui complètent notre récente étude sur les plus grands télescopes du monde. Il paraît que décidément le télescope d’un million de dollars n’est pas une utopie, et que ce gigantesque projet est en voie d’élaboration.

A l’Académie des sciences de Californie (pays bien fait, du reste, pour réaliser un tel projet), le professeur Georges Davidson s’est exprimé dernièrement dans les termes que voici : « Avec un télescope de la dimension et de la perfection que l’habileté américaine pourra apporter à cette construction, et qui sera installé à 10,000 pieds au-dessus du niveau de la mer, sous les cieux transparents de la sierra Nevada, avec les divers appareils construits pour aller à sa taille, avec des observateurs savants et habiles, avec les méthodes perfectionnées qui lui seront appliquées, nous espérons voir bientôt poindre le jour où les plus mystérieux problèmes de la création s’abaisseront à la portée de nos mains. » Un riche citoyen de San Francisco, M. James Liek, a compris l’importance de ce projet et s’en est déjà fait faire les plans et les devis dans l’espérance de pouvoir contribuer personnellement à sa réussite.

Quelle sera la grandeur de l’instrument proposé ? C’est ce qu’il est difficile de décider dès maintenant ; il en est de même de son prix. Le grand instrument de Washington, pour lequel on avait voté une somme de cinquante mille livres sterling, a pu n’en coûter que trente mille. On fera des expériences sur la qualité du verre et ses propriétés, dans le but de déterminer jusqu’à quelle dimension on pourra porter la construction d’une lentille d’un diamètre extraordinaire et de la longueur focale qui en résulte. Le projet pris en meilleure considération serait de construire un objectif de 12 pieds de diamètre, dont la longueur focale serait de 120 pieds, lequel recevant un oculaire d’un vingtième de pouce de foyer, donnerait un agrandissement de 28,800 fois en diamètre, c’est-à dire de 800,000,000 de fois en surface. Quoique le spectroscope ait prouvé que la plupart des nébuleuses que le grand télescope de lord Rosse n’a pu résoudre, sont composées d’hydrogène incandescent, il est possible qu’un tel pouvoir grossissant fasse découvrir des amas d’étoiles qui sont restées invisibles jusqu’à ce jour, et donne à la vision humaine la faculté de plonger dans les profondeurs des milliards de lieues au delà de tout ce qui a été vu jusqu’à notre époque. Le lecteur peut aisément calculer le rapprochement auquel les planètes seraient ramenées et aussi l’angle visuel sous lequel elles se présenteraient. Mars, par exemple, serait ramené pour ainsi dire à la distance de 6400 kilomètres et paraîtrait cent fois plus grand que la lune, couvrant un angle de 50 degrés. (Le Scientific American s’abuse ici, attendu que plus le pouvoir grossissant augmente et plus la largeur du champ diminue.) La grandeur des découvertes qui pourraient être faites lorsque nous serons capables de scruter la surface de la planète Mars, ajoute-t-il, ne peut être même imaginée. Les problèmes de la constitution des anneaux de Saturne, de Jupiter et de ses satellites, habités sans doute, de la planète intra-mercurielle, etc. recevront une nouvelle lumière qui conduira sans doute à leur solution. Quant à notre lune, que le lecteur songe sérieusement que nous la verrons rapprocher à trois lieues de nous, si près en vérité qu’on pourrait distinguer ses habitants, s’il y en a ! Dans tous les cas, on distinguerait facilement tous les phénomènes volcaniques ou géologiques qui peuvent s’accomplir à sa surface. Le Scientific American ajoute, en terminant, la péroraison suivante : « Lorsqu’il y a un an, on a proposé de construire cet immense télescope, nous disions : « Il est impossible de deviner ce qu’un tel appareil serait capable de faire découvrir sur la nature des autres planètes et des vastes régions du firmament : espérons que le jour viendra où le capital nécessaire à cette entreprise sera formé généreusement pour le progrès de la plus sublime de toutes les sciences. » Ce jour est arrivé ; le capital va être formé, et, selon toute probabilité, la plus grande entreprise des temps modernes sera achevée avant cinq ans.»

Ainsi parle le journal américain. Il publie même un projet de construction d’un télescope d’un pouvoir illimité. On propose pour cela un « miroir fluide parabolique » qui serait formé par un cylindre contenant du mercure et mis en rotation autour de son axe. On peut démontrer, en effet, que la surface du mercure prendrait une forme parabolique concave parfaite, d’un pouvoir réfléchissant excellent, et l’on peut calculer les distances focales correspondantes aux différentes vitesses de rotation. Théoriquement, le projet est acceptable. Mais il n’en est pas de même dans la pratique. Il faudrait mouvoir cet immense cylindre de mercure d’un mouvement rapide absolument uniforme, changer sa situation de l’horizontale à la verticale, ou tout au moins jusqu’à une forte inclinaison, etc., etc. La mécanique industrielle n’est pas encore arrivée à une pareille perfection, et un immense télescope de verre argenté sera plus facile à construire, lors même qu’il coûterait un million de dollars.


CHRONIQUE

Un mouton à huit pattes. — On vient de porter à Riom, et nous avons été invités à visiter, dit le rédacteur du journal de la localité, un mouton né il y a quelques jours, dans une ferme des environs du Combronde, et qui présente un des plus curieux phénomènes connus jusqu’à ce jour. Ce mouton n’a qu’une tête, mais elle contient deux langues et deux mâchoires. Le cou est unique, mais à partir de la naissance des épaules, il y a lieux individus bien distincts, d’égale force et parfaitement constitués. Il