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Page:La Nature, 1874, S1.djvu/135

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LA NATURE.

français : les Belges, mieux inspirés, visitent presque tous les ans notre massif oriental de terrains anciens.

Considéré dans son ensemble, le département des Ardennes offre à l’observation des terrains extrêmement variés, stratigraphiquement parlant. Vers l’ouest, on y voit la craie, roche qui sert de support au terrain parisien et qui apparaît au jour à nos portes mêmes, dans les carrières du Bas-Meudon et de Bougival ; plus à l’est, on recoupe successivement presque toutes les assises du terrain jurassique, puis, à peu près sans transition, on arrive sur les couches les plus anciennes appartenant aux époques dévonienne et silurienne, peut-être même pour certaines à l’époque cambrienne.

Aussi, le professeur commença-t-il son exploration à Rethel, dont le sol est constitué par la partie inférieure du terrain de craie, appelée craie glauconieuse à cause de la présence du minéral vert dit glauconie. A notre arrivée, nous fûmes reçus par l’ingénieur des mines du département, M. Nivoit, qui pendant nos quatre jours de courses a mis au service de l’expédition sa profonde connaissance du pays et son inépuisable complaisance. C’est grâce à lui, que l’intérêt purement géologique du voyage s’est pour ainsi dire complété par une foule de notions d’ordre différent, qui ont rendu notre exploration beaucoup plus fructueuse et tout à la fois plus attrayante.

Du chemin de fer, on embrasse l’ensemble de la ville de Rethel, dominée par un monticule très-régulièrement conique, évidemment artificiel, qui a fourni aux antiquaires des vestiges de l’époque gallo-romaine et sur la destination duquel on n’est pas bien fixé. Le nom de Rethel a la même racine que le mot râteau, et les armes de la ville consistent en trois peignes sur un écusson : armes non de guerriers, mais d’industriels. De toutes parts s’élèvent des cheminées d’usines : la grande occupation de Rethel est le peignage de la laine.

Pour voir la craie glauconieuse, il fallut traverser toute la ville, et cela nous donna occasion d’observer en place le limon qui forme le solde la plaine. Ce limon, appelé hesbayen par le géologue Dumont, appartient à l’époque quaternaire et ressemble, à beaucoup d’égards, à celui qui recouvre le diluvium aux environs de Paris. Il contient un grand nombre de fossiles d’eau douce et spécialement de petites paludestrines dont il nous fut facile de recueillir une nombreuse collection. Formé, comme le limon de Paris, d’un mélange d’argile et de calcaire, il se prête comme lui à la fabrication des briques et fournit, à ce titre, du travail à un très-grand nombre d’ouvriers. La brique se fait très-simplement par le moulage de la terre, mais la cuisson a lieu autrement qu’aux environs de Paris : on empile les briques crues en laissant, entre elles de petites intervalles que l’on remplit de menu de houille, qui, allumé par en bas, se consume lentement ; le four, vu de dessus, semble la miniature d’une contrée volcanique couverte de fumerolles. On ne défourne qu’au bout de cinq ou six semaines, et presque toujours, lorsque les briques d’en haut sont cuites à point, celles d’en bas sont brûlées, c’est-à-dire en partie fondues, et collées les unes contre les autres ; elles ne sont plus bonnes à rien.

En retournant au chemin de fer, nous rencontrons sur la voie un tas de coquins, dignes d’estime malgré leur nom et qui sont devenus une source importante de richesse pour le département des Ardennes. Ces coquins sont des rognons irréguliers formés surtout de phosphate de chaux, et qui, broyés puis mêlés aux terres, en augmentent beaucoup la fertilité. Ils jouent le rôle du guano, qui tend, comme on sait, à disparaître par l’épuisement des dépôts séculaires exploités dans ces dernières années sur les côtes occidentales de l’Amérique du Sud. Ceux dont il s’agit ici et que nous allons voir en place, forment une couche très-mince, mais continue, dans cette partie du terrain crétacé inférieur que l’on désigne sous le nom anglais, devenu cosmopolite, de gault. Ils sont très-intéressants pour les géologues par le nombre considérable des fossiles qu’ils renferment, soient des coquilles ayant souvent conservé l’éclat de leurs couleurs comme, les ammonites mamillatus (fig. 1), des solarium, des pleurotoma, des cardium, des arca, etc. ; soient des restes de végétaux comme des troncs d’arbre présentant souvent des trous percés par le teredo arduenensis, très-analogue au taret actuel, et des pommes de pin très-bien conservées (fig. 2). L’exploitation des coquins, qui ne date que d’un très-petit nombre d’années, est due en partie à l’initiative de M. de Molon et de M. Meugy.

Le chemin de fer nous conduit à Saulce-Montchin, où des ouvriers sont en train d’exploiter les coquins. Le procédé est des plus simples ; il consiste à jeter la terre des champs sur une claie et à la laver à grande eau ; la terre est emportée et les rognons restent. On les vend 90 francs le mètre cube.

Sur la route, les tas de pierres destinées au macadam fournissent en abondance les principaux fossiles du Coral-Rag, des polypiers de tous genres, des oursins, des nérinées, et cette belle coquille bivalve appelée diceras arietina (fig. 3}, parce qu’elle ressemble assez bien à une tête de bélier avec ses deux cornes enroulées.

Avant d’arriver à Launois, on traverse des couches oxfordiennes exploitées comme minerai de fer. Ce minerai y est en tout petits grains sphéroïdaux analogues aux œufs de certains insectes, et désigné pour cela sous le nom d’oolithique. Les couches qui la fournissent contiennent en abondance des fossiles admirablement conservés et dont nous récoltons une ample moisson. Viel-Saint-Remy, près duquel nous passons, est une localité fameuse pour les fossiles dont il s’agit.

A la porte même de Launois, M. Nivoit nous conduit à une magnifique carrière dont les épaisses assises de couleur grise sont sensiblement horizontales. Nous sommes encore dans le terrain oxfordien.