Page:La Nature, 1874, S1.djvu/175

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
171
LA NATURE.


saumâtre ni à la mer. Il est difficile de savoir exactement si le Barramundi du Filzroy est la même que le Ceratodus forsteri, mais tout le fait supposer.

Dans les intestins de plusieurs spécimens on a trouvé les feuilles mâchées de diverses Myrtacées et de Graminées, et chez quelques-uns, quand la décomposition était assez avancée, tes matières perdaient leur couleur verte pour en acquérir une d’un noir absolu. La quantité que les intestins contenaient de cette nourriture était énorme, ce qui prouvait bien qu’on était en présence de la principale alimentation de l’animal. De même, à Bahia, le Lepidosiren si ; nourrissait de matière végétale, car on a trouvé dans le tube digestif d’un individu des débris de racines féculentes. Le Ceratodus renferme quelquefois certains débris de petites coquilles dans son estomac, mais tout fait présumer que ce sont celles qui rampent sur les feuilles, et qu’il mange avec elles par accident.

N’est-ce pas vraiment curieux de voir un poisson se hisser dans la prairie pour se nourrir île Heurs ? Certes, l’imprévu est grand, et la nature seule sait nous réserver des surprises semblables ! Ce n’est pas assez de ressusciter pour nous un organisme inédit du temps passé, il faut aussi lui donner des mœurs aussi étranges que si nous voyions un bœuf vivre de proie ou un tigre de coquilles !

Il nous paraît superflu d’entrer dans de longs détails sur l’organisation du Ceratodus, quoique les faits curieux et anormaux n’y manquent point ; mais notre figure donnera une bonne idée de l’animal et de son squelette : c’est tout ce qu’il faut pour en avoir un aspect sommaire. Nous pouvons ajouter que c’est un poisson ganoïde, dont le corps tout entier est couvert d’écaillés très-larges, toutes marquées, sur les parties découvertes, de belles stries concentriques. Ces écailles deviennent très-petites sur la queue et sur les opercules.

Ce serait une erreur de se figurer les nageoires et Ja queue terminées par des rayons semblables à ceux de nos poissons ordinaires : ces membres sont plutôt des sortes de moignons renfermant un axe central, lequel soutient ces sortes de palettes en fuseau, formées de peau et couvertes d’écaillés. IL en est de même de la queue de l’animal.

Pour répondre aux besoins de respiration aérienne que nécessitent les organes du Ceratodus à la recherche de sa nourriture, il lui fallait un organe respiratoire spécial ; c’est ce qui a lieu. On peut comparer ses branchies à un poumon particulier sous-operculaire, poreux, dont l’organisme est très-compliqué, et dont les ramifications se répandent dans des cavités remplies de mucosité coagulée dont l’emploi n’est pas encore bien rigoureusement déterminé. L’opercule commence vers la région occipitale et descend jusque vers l’insertion des palettes pectorales, mais son ouverture est couverte non par une pièce osseuse, mais par une frange cutanée épaisse, revêtue de toutes petites écailles.

H. de la Blanchère


LE GULF-STREAM

(Suite. Voy. p. 154.)

Après avoir fait le tour du golfe du Mexique et passé entre Cuba et la pointe de la Floride, le Gulf-Stream pénètre dans ie canal de Bahama, et, grossi par les eaux du grand courant équatorial, coule d’abord directement au nord, puis s’infléchit graduellement vers l’est, suivant la courbe du littoral américain et obéissant à l’action de la rotation terrestre. On sait qu’en conséquence du mouvement diurne du globe et de la différence de vitesse de rotation sur les divers parallèles, les courants dirigés vers le pôle dans notre hémisphère ont une déviation vers l’est, et les couvants dirigés vers l’équateur une déviation inverse.

Par le travers du cap Hatteras, le Gulf-Slream est deux fois plus large qu’à la sortie du détroit de Bemini, mais sa profondeur n’est plus que de 200 mètres environ, et sa vitesse ne dépasse pas 5 kilomètres à l’heure, À la hauteur de New-York et du cap Cod, il cesse de suivre les côtes d’Amérique, et s’élance i à travers l’Atlantique, déviant à l’est jusqu’au banc de Terre-Neuve, où, comme nous l’avons dit, il rencontre le courant polaire. Il se partage alors en deux branches distinctes, d’une énorme largeur, dont l’une, passant au nord de l’Irlande et de l’Angleterre, se prolonge en divers rameaux jusqu’au Spitaberg et à la Nouvelle-Zemble, tandis que l’autre, coulant vers le sud, va rejoindre le courant équatorial. Un des rameaux de cette dernière branche contourne le golfe de Gascogne où il forme le courant de Bennell, qui longe nos côtes océaniques, traverse la Manche et rentre dans le Gulf-Streain par le travers de l’Irlande. Le rameau qui continue à couler au sud-est suit les côtes d’Espagne et de Portugal, la côte, d’Afrique jusqu’aux îles du cap Vert, où il se réunit et se confond avec le grand courant équatorial qui traverse l’Atlantique de l’est à l’ouest. Ainsi s’achève l’immense mouvement circulaire des eaux de l’Océan, au centre duquel, dans une région isolée de l’action des courants, se trouve la mer de Sargasse, vaste amas d’herbes marines, de vareolis flottants, qui s’étend de l’espace triangulaire compris entre les Açores, les Canaries et les îles du cap Vert, jusqu’à l’archipel des Antilles, et du 17e au 38e degré de latitude nord, en deux masses séparées. M. Leps, capitaine de frégate, dans sa description de Ja mer de Sargasse[1], a prouvé que la plupart des plantes marines qui la forment peuvent se propager à la surface de l’eau. Il reste à savoir si ces plantes, comme le croyait Maury, ne proviennent pas en grande partie du golfe du Mexique, des écueils des Antilles et de la Floride, et ont été entraînées par le Gulf-Stream dans le remous où elles tournent sous l’influence des vents et des courants. Le prodigieux développe-

  1. Annales hydrographiques. 1857.